Afrikamera, l’Afrique autrement

Du 11 au 16 novembre se tient au Kino Arsenal le festival Afrikamera, consacré aux films du continent africain. Alex Moussa Sawadogo, créateur et directeur du festival, nous en dit plus sur cette 7e édition.

Lentement mais sûrement, le festival Afrikamera s’installe dans le paysage multiforme des festivals de cinéma berlinois. Sept ans déjà que son équipe est au rendez-vous pour proposer aux spectateurs de voir l’Afrique autrement.
Car Alex Moussa Sawadogo, créateur et directeur du festival défend avant tout une autre vision de l’Afrique. La sélection de cette septième édition fait état d’une tension entre, d’une part, la volonté de montrer la singularité et la diversité  des problèmes du continent, loin des clichés habituels, et d’autre part le souhait de souligner l’universalité des thèmes abordés.
Ainsi du film d’ouverture, Timbuktu du cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako, déjà primé à Cannes et à Namur, qui aborde le sujet de l’arrivée des islamistes dans cette ville du Mali. “Un film africain, par un réalisateur africain, sur le continent africain et avec des acteurs africains”, comme le directeur du festival aime à le préciser. Mais un film qui aborde aussi un sujet universel : “l’islamisme est un problème qui ne touche pas seulement l’Afrique.”

On retrouve cette dualité dans le “focus” fait cette année sur l’Afrique urbaine. African Metropolis présente une compilation de courts-métrages réalisés à Abidjan, au Caire, à Dakar, à Johannesburg ou encore à Lagos. Dakar Trottoirs aussi, s’intéresse à la vie dans les rues de la capitale sénégalaise. On y verra une Afrique dont l’urbanisation est la preuve d’une modernisation rapide mais aussi sauvage, avec son lot de problèmes : drogue, prostitution, guerres de clans ou encore banditisme. Des films qui pourraient également se passer à Paris, à Berlin ou à Londres. “Pour moi, il était important d’aborder ce thème de l’urbanisation pour montrer en quoi les problèmes que vivent les cités africaines ont été et sont vécus aussi en Europe.”  

Montrer l’Afrique telle qu’elle est, avec ses singularités mais aussi son universalité, tel est le but du festival, au militantisme assumé. C’est le sens de la sélection d’Afrikamera par M. Sawadogo pour qui “la culture est un tremplin pour pouvoir faire passer un message politique.” Le message? “Montrer notre frustration de voir un continent qui chaque jour se trouve avec un nouveau problème. Lorsqu’on ne parle pas de la guerre en Centrafrique, on parle d’Ebola ou d’un soulèvement populaire au Burkina Faso.” 
Les thèmes abordés par nombre des films sélectionnés sont difficiles, sombres. Tel Malak d’Abdeslam Kelai qui raconte l’histoire de cette jeune fille marocaine qui se découvre enceinte. Délaissée par son petit ami, elle doit affronter le jugement de sa famille. Ou encore Misfit du nigérian Daniel Emeke Oriahi qui traite, à travers l’histoire d’un enlèvement, du thème des violences faites aux femmes. Mais le directeur du festival assume : “il faut qu’on ait cette conscience-là, il faut qu’on ait le courage de dire ce qui ne va pas en Afrique.”


Timbuktu, de Abderrahmane Sissako

Mais Afrikamera, ça n’est pas seulement dire, c’est aussi faire. Au-delà du propos politique et militant, le festival soutient de multiples manières la création cinématographique africaine. Beaucoup de place est accordée aux jeunes réalisateurs. Ceux-ci sont principalement représentés dans les catégories court-métrages avec plusieurs programmes qui leur sont dédiés. Ainsi d’African Metropolis, déjà cité, mais aussi de This is My Africa. Ce programme, déjà présent l’année dernière, propose, à travers quatre court-métrages de jeunes réalisateurs, des personnages ou des histoires qui “créent de nouveaux mondes, interprètent le présent ou développent des utopies.”
Chaque année également, Afrikamera nous fait découvrir le cinéma d’un pays du continent en particulier. Cette septième édition se penche sur le cinéma éthiopien à travers Ethiocinema, une sélection de court-métrages issus de ce pays d’Afrique de l’Est par le réalisateur Hailé Biru Abraham. On pourra également découvrir Difret de Zeresenay Berhane Mehari, contant l’histoire d’une jeune fille qui se retourne contre ses bourreaux et se retrouve dans les couloirs de la mort pour les avoir tués. 

En dehors des salles obscures, et toujours dans l’idée de soutenir le cinéma africain contemporain, le festival développe cette année le second volet de son projet RE_IMAGING AFRICA visant à faciliter les échanges entre les festivals et écoles de cinéma allemandes d’une part et les pays africains d’autre part. Des étudiants d’écoles de cinéma de Madagascar et du Burkina-Faso auront l’occasion de rencontrer divers professionnels du cinéma qui les formeront, entre autres, à la production de films à petit budget. Dans le cadre d’un partenariat avec le dokfilmfest de Kassel, ils seront également initiés aux productions de films d’animation.
Devant le succès de la précédente édition, ou les différents débats avaient fait salle comble, Afrikamera a également ouvert cette année un espace de discussion Lounge dans lequel professionnels du cinéma, invités et spectateurs pourront échanger et se rencontrer, mais également visionner des films non projetés dans le cadre de la sélection.
A la question de savoir quel film il conseillerait aux lecteurs de Vivre à Berlin, Alex Moussa Sawadogo nous répond : “Je leur dirais bien de tout voir si le temps le leur permet !” Difficile en effet pour lui de faire des choix, tant il s’est investi dans la sélection qu’il nous présente. Car il sait l’importance du fait que chaque film puisse rencontrer son public : “Sans ce public qui nous suit depuis des années, nous n’en serions pas là.” S’il a une vision du cinéma comme tremplin politique, il considère aussi le fait d’assister au festival comme un acte militant : Ne nous laissons pas raconter des histoires, mais faisons l’Histoire. À notre manière bien sûr.”

Lucas Riveill

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