Falk Richter : la scène comme miroir de la réalité

Falk Richter, dramaturge et metteur en scène, est artiste associé à la Schaubühne depuis 2006, (comme évoqué dans notre précédent article). Il a acquis au fil des années une notoriété internationale avec des pièces comme Nothing hurts (1999), Unter Eis (2004) ou encore Trust (2009). Son avant-dernière pièce, For The Disconnected Child (2013) a reçu le prix Friedrich-Luft récompensant le meilleur spectacle berlinois de l’année. On le retrouve en ce début de saison avec sa nouvelle création Never Forever en collaboration avec la compagnie de danse Total Brutal.
Entre crise économique, écologique, crise du couple ou crise d’amour dans son ensemble, le travail de Falk Richter s’attache essentiellement à dresser un portrait acerbe de la société contemporaine vue sous le prisme de ses dérives. Les personnages y sont toujours perdus, isolés, prisonniers de leurs insatisfactions ou dépassés par l’accélération incontrôlée du monde. Manque de temps, épuisement, individualisme, l’état de crise s’est installé dans le quotidien.

Fidèle à ces habitudes, Falk Richter mélange les genres dans ses deux dernières pièces avec une mise en scène où jeu des acteurs et chorégraphies s’entrecroisent. En effet, il collabore pour For The Disconnected Child avec les musiciens et chanteurs lyriques de la Staatskapelle Berlin ainsi qu’avec le chanteur Helgi Hrafn Jónsson, présents sur scène pour interpréter en live toutes les parties musicales. Les deux pièces sont relativement similaires dans leur propos. Une réflexion autour de la confiance se développe au travers de For The Disconnected Child où l’exacerbation du moi semble se faire au détriment de la relation à l’autre. Une mère célibataire, des couples en crises, deux collègues qui couchent ensemble sans pour autant être proches, des candidats en concurrence lors d’un entretien d’embauche, autant de situations juxtaposées traduisant aussi bien la pression sociale et le besoin de dépassement personnel que la peur de l’engagement.

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Tous les personnages de Never Forever souffrent d’un manque. Manque de reconnaissance d’un professeur de fac épuisé devant l’addiction aux Smartphones de ses étudiants, manque de temps d’un homme indisponible pour la femme qu’il vient de rencontrer, manque de contact d’une jeune fille qui se crée une vie virtuelle de star via Facebook, manque d’amour d’un père privé de son fils par son ex-femme ou celui d’une femme rejetée par sa mère, ancienne actrice ne vivant que dans le souvenir. Ce spectacle est ponctué de la réplique “Ruf mich an“ (appelle-moi) qui revient incessamment mais reste toujours sans réponse.
Plus que jamais dans le théâtre de Falk Richter, les nouveaux moyens de communication apparaissent pleinement en tant que dispositifs d’isolement. Ici, l’omniprésence des réseaux sociaux s’imposent comme médiation entre tous les personnages et « virtualise» les relations humaines. Sur la scène, l’ensemble acteurs-danseurs donnent à voir un chœur éclaté dans lequel les éléments sont présents mais fréquemment séparés les uns des autres. Les danseurs évoluent souvent seuls, les échanges se font à distance ou échouent, comme par exemple lors de ce dialogue du professeur qui devient monologue lorsqu’il s’adresse à une chaise vide. Falk Richter effiloche les liens, les rencontres et les contacts charnels de ses personnages. Il travaille les écarts, la distance aliénante. Il juxtapose les histoires qui se répondent sans pour autant se mélanger. Résistance, épuisement ou révolte, le langage corporel, entre panique et convulsion, fait état de corps en conflits perpétuels.
Dans For The Disconnected Child, la présence des musiciens du Staatsoper ainsi que les passages lyriques créent un décalage de registre amenant des moments de respiration. Tandis que la frénésie des chorégraphies, suivies d’interprétations parfois très/trop soutenues, de Never Forever imposent un rythme intense qui tolèrerait des moments de pause propices à faire naître la réflexion du spectateur. La scène est incessamment saturée. Se faisant le reflet d’un monde en mouvement, chorégraphies, textes, sons, vidéos illustrent également l’omniprésence et la simultanéité des informations propres aux médias. Pour autant, ce rythme peut s’avèrer, à la longue, pénible pour le spectateur qui cherche, à son tour, des temps de suspension.
Montrer un contre-point en créant l’inverse de ce qui est et faire de la scène un lieu d’utopies et de fantasmes ne serait-il pas plus pertinent que de travailler systématiquement celle-ci en miroir ?

Sophie Galibert

Kay Bartholomäus Schulze. Photo Arno Declair

Photo 1 : Regine Zimmermann. Photo Arno Declair
Photo 2 : Franz Rogowski. Photo Arno Declair

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