Visiter l’aéroport de Tempelhof : une folle existence entre bombes et bonbons

Flughafen Tempelhof © Aude Morin-Veyret

Terminal – Guichet d’enregistrement – Billet – Tarmac – Avion ; l’ennnnnui ! On s’ennuie beaucoup dans un aéroport moderne. Trop lisse, trop propre, trop régulé. Alors on s’assied sur sa valise et on regarde le temps et les gens passer. À l’aéroport de Tempelhof, le temps s’est figé, les gens ont cessé de passer. Le tarmac est vide comme la valise d’une cigale. L’ennui ? Surtout pas ! Car que ce lieu a vécu…

Le monumental aéroport de Tempelhof a connu à 90 ans passés plus que ce qu’une seule vie d’homme saurait contenir. Une enfance gringalette dans les années 1920 – un fluet cabanon pour seul bâtiment en 1923 -, une croissance monumentale et démente à l’adolescence – les plans cyclopéens d’Adolf Hitler partiellement réalisés entre 1936 et 1941 -, une vie active « à l’américaine » – les soldats des Etats-Unis investissent les locaux en 1945 -, une pré-retraite tardive mais paisible dans les bras de celle qui l’a fait naître – l’Allemagne réunifiée reprend la gestion de l’aéroport en 1990 – puis enfin la retraite – dès 2008 -, la vraie, celle où l’on ne fait plus rien.

L’agence Tempelhof Projekt propose depuis 2012 de faire visiter des lieux qui demeurent sans cela fermés au public – si l’espace extérieur est accessible à tous depuis 2010, la surface bâtie de l’aéroport reste impénétrable. Notre guide francophone du jour est historienne de formation et elle rappelle d’emblée une réalité économique. « L’aéroport est fermé, mais il continue de coûter énormément, notamment en matière de sécurité. La ville essaie de le rentabiliser en louant de nombreuses surfaces dans les ailes. Elle met également les locaux à disposition pour l’organisation de réceptions ou de tournages de films. »
La visite, prévue sur deux heures, emmène le visiteur dans les lieux marquants de l’aéroport : le terminal original – « très rapidement devenu trop petit pour le trafic augmentant » -, le tarmac – où trônait le jour de la visite un Rosinenbomber (« bombardier à friandises » utilisé pour réapprovisionner la ville pendant la période du blocus soviétique ) -, le vaste hall central, diverses salles où des peintures et photos d’époque témoignent du passé, un terrain de basket qui permettait aux soldats américains de pratiquer leur sport préféré ou encore les abris anti-aérien où de nombreuses familles berlinoises se réfugièrent pendant les bombardements alliés.

L’aéroport constitue un prestigieux bijou architectural qui est passé entre les mains des grandes puissances. « C’est impressionnant de voir qu’il a été au coeur de toutes les batailles et qu’il en est ressorti plutôt épargné », observe notre guide, qui se sert d’une photo pour appuyer ses dires. On y voit la solide architecture du bâtiment qui émerge parmi les ruines alentour. « Les Américains étaient bien conscients de la valeur de l’édifice et de son intérêt fonctionnel. Ils n’allaient pas détruire le jouet dont ils étaient presque sûrs de bientôt hériter ». Et de poursuivre, davantage surprise par des comportements plutôt respectueux entre anciens ennemis : « Il y a eu un grand respect de l’architecture et même des motifs ». Ainsi des textes de l’artiste Wilhelm Busch qui ornaient les parois des abris n’ont pas été effacés par les Américains au moment de rafraîchir les murs sur lesquels on retrouve des traits de « bleu », la craie utilisée au billard, dont les recrues se servaient pour marquer les scores des parties.

aéroport_tempelholf
© NDO / Source: Tempelhof Projekt GmbH, www.thf-berlin.de

Le lieu recèle d’histoires, d’anecdotes loufoques ou avérées. L’aéroport a été ceci, puis cela, concentrant sur lui tous les yeux et les enjeux à chaque moment de son existence. « La portée symbolique de cet aéroport est très grande. Il est passé d’aéroport nazi à symbole de liberté », déclare notre guide, se référant notamment au pont aérien « une grosse impro des Américains » qui a permis d’approvisionner les habitants de Berlin-Ouest, victime du blocus soviétique entre 1948 et 1949.

Bref, 90 ans après sa naissance, le vieux Tempelhof n’a toujours pas pris une ride et une nouvelle jeunesse s’offre même devant lui. Allez lui rendre une visite ; vous verrez qu’il a de la mémoire et pas mal de bonnes histoires à vous raconter !

NDO

Laisser un commentaire