Béatrice Angrand : une femme qui fait voyager les jeunes et les idées

A la tête de l’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) depuis 2009, Béatrice Angrand est une femme pleine d’enthousiasme et de clairvoyance, deux qualités qui ne sont pas superflues pour gérer au mieux une organisation qui fait voyager près de 200 000 jeunes chaque année entre la France et l’Allemagne. Crée par le Traité de l’Elysée en 1963, l’OFAJ a pour principale mission « d’approfondir les liens qui unissent les enfants, les jeunes, les jeunes adultes et les responsables de jeunesse des deux pays ». Une mission stable et durable mais en perpétuelle mutation dans les formes qu’elle est susceptible de prendre. « On doit aller aussi vite que la société évolue. On ne peut pas rester dans la routine ; on doit apporter une valeur ajoutée aux jeunes, pas leur proposer ce qu’ils font déjà toute la journée », explique Béatrice Angrand, qui cite notamment les échanges associatifs, caritatifs, culturels et sportifs.

Béatrice Angrand, Secrétaire générale de l‘OFAJ © Laurence Chaperon

Car dans la relation entre la France et l’Allemagne – deux pays qui historiquement adorent se détester -, il n’est plus véritablement question de « faire la paix ». « Celle-ci est acquise », assure la secrétaire générale de l’OFAJ. Avant de rapidement se raviser et reformuler. « Disons plutôt que la paix est faite. Elle n’est jamais acquise ; on voit que parfois aujourd’hui encore des Français utilisent des termes carrément guerriers pour décrire les Allemands ». Mais en soi, Béatrice Angrand constate que l’amitié a perdu en artificialité pour gagner en spontanéité. « La motivation des jeunes n’est plus de partir pour faire la paix. L’attachement franco-allemand n’est pas présenté comme un but mais comme une conséquence. Que le jeune se dise par exemple « Tiens, parce que j’ai fait un échange franco-allemand, j’ai découvert la pétanque! » La secrétaire générale utilise d’ailleurs souvent le terme de « détour » pour décrire la manière de fonctionner de son organisation. « A l’OFAJ, on ne dit pas « il faut renforcer l’amitié ». On fait des projets interculturels avec ce pays voisin qu’est l’Allemagne et de là, l’amitié se renforce ».

« On reçoit des délégations de Coréens et de Palestiniens »

Si elle est trop bien placée pour savoir que l’institutionnel occupe un rôle important, Béatrice Angrand a l’intelligence de plutôt placer sa foi entre les liens tissés par les sociétés civiles. « Ce sont eux qui amortissent les hauts et les bas du politique. Il est important que lorsque François Hollande et Angela Merkel se rencontrent, ils soient conscients de leur responsabilité politique, des attentes existantes « sous eux » à tous les niveaux », relève Béatrice Angrand, en soulignant les nombreuses coopérations entre les écoles, les universités, les villes et les régions des deux pays.

Cette femme, qui a auparavant travaillé pour la chaîne binationale ARTE, vante et promeut une amitié qui naît de la rencontre de mains, d’esprits et de cœurs là où d’autres croient (malheureusement) encore qu’un paraphe en bas d’un document officiel suffira à faire naître l’amitié entre les peuples. Plusieurs nations qui connaissent d’interminables conflits fratricides s’intéressent d’ailleurs de près au travail réalisé par l’OFAJ. « On reçoit des délégations de Coréens, qui veulent savoir comment les Français et les Allemands ont réussi à se rapprocher après des centaines d’années de guerres. Des Palestiniens également, intéressés de savoir comment deux pays si différents ont pu mettre en place des coopérations durables. Il est important de montrer aux pays tiers que l’on sait aller au-delà des grands discours et que ceux-ci trouvent un véritable écho dans la réalité. »

Les perspectives offertes par l’OFAJ


Cours de langue en tandem © Amélie Losier

Stages, jobs, séjours d’été, bourses : les moyens de découvrir la culture du partenaire ne manquent pas à l’OFAJ. Le budget, augmenté en 2013 à 22.8 millions d’euros, permet de financer les projets les plus divers, des traditionnels échanges jusqu’à des idées plus audacieuses telles que la création d’une webradio franco-allemande, la rédaction ce que pourrait être le Traité de l’Elysée en 2063 ou le développement de « Bücherbox » – cabines téléphoniques reconverties en bibliothèques multilingues – dans les rues de Berlin et Paris. Si Béatrice Angrand vante la richesse culturelle des deux pays, elle n’oublie pas de préciser que l’intérêt des Français pour l’Allemagne s’est renforcé pour des raisons… économiques. « Il y a plus de Français que d’Allemands inscrits à certains programmes, ce qui est sans précédent dans l’histoire de l’OFAJ et de l’attractivité mutuelle », déclare-t-elle. Et d’ajouter que si Berlin est sans doute le meilleur ambassadeur de l’Allemagne, d’autres villes offrent des perspectives plus intéressantes sur le marché de travail. « On n’a pas tellement de peine à faire comprendre aux jeunes qui cherchent un emploi de regarder plutôt du côté de Hambourg, Munich, Frankfort… »

Le fait que l’intérêt pour la langue de l’autre ne soit pas aussi marqué que par le passé n’inquiète pas la secrétaire de l’OFAJ outre-mesure. « Plus de 15% des Français apprennent l’allemand et 18.5% des Allemands le français. Evidemment si on compare ces chiffres à ceux d’il y a 40 ans, ça a beaucoup baissé. Mais compte tenu du contexte concurrentiel dans lequel on est – avec évidemment l’anglais, mais aussi le chinois, l’espagnol -, le fait de se maintenir dans ces chiffres n’est pas si mal. Et il ne faut pas oublier qu’on a eu en France des centaines de milliers de jeunes qui ont appris l’allemand pendant sept ans en première langue sans être capable de dire un seul mot à la fin. Aujourd’hui, il y a peut-être moins de jeunes qui l’apprennent, mais ils le parlent mieux et le considèrent comme un outil de communication plutôt que comme une langue morte. »

Le jeu des différences entre l’Allemagne et la France

Béatrice Angrand, qui partage sa fonction de secrétaire générale avec son collègue allemand Markus Ingenlath, concède volontiers éprouver un attachement « un peu trivial » à la France « Je ne suis pas plus fière que cela de mon pays. Ca se passe là parce que c’est le pays de mes parents, de mes sœurs, de mes nièces, des profs que j’ai bien aimés et de tous les gens à qui je dois ce que je suis aujourd’hui, soit une femme plutôt heureuse ». Une retenue patriotique qui ne l’empêche pas d’apprécier un « esprit français » qui se définirait surtout par la « capacité à surprendre » et à se montrer « sourds aux mauvais présages ». Et si elle ne nie pas des différences interculturelles entre les deux pays, elle préfère éviter une lecture qui se ferait sous le seul spectre de la nationalité. « Souvent ce qu’on croit être des différences interculturelles sont déviées par la personnalité de chacun, le contexte éducatif, sa psychologie, l’influence de la culture d’entreprise. Je me méfie des questions sur le sujet car souvent en évoquant les clichés, on ne fait que les renforcer. » Amusant paradoxe : elle a elle-même écrit un ouvrage intitulé « L’Allemagne » dans la collection « Idées reçues » pour battre en brèche certains stéréotypes que l’on aime collectionner sur le voisin germanique…

Nicolas Donner


Le bâtiment de l’OFAJ à Berlin © Amelie Losie

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