
Transit est un film du cinéaste allemand Christian Petzold (notamment réalisateur de Phoenix, 2014). Par son jeu quelque peu ambigu avec la temporalité, Christian Petzold offre une perspective originale et risquée, qui plait ou déplait.
Dans le cadre de la Berlinale 2018, vous pourrez voir ce film mercredi 21 février à 18:30 (filmkunst 66, Bleibtreustraße, Berlin) ou dimanche 25 février à 16:45 (Haus der Berliner Festspiele). Pour voir le programme de la Berlinale, cliquez ICI. Le film paraitra dans les salles de cinéma allemand à partir du 5 Avril 2018.
Un cadre temporel double
Si l’on sait avec certitude que l’histoire se passe à Marseille, la question de la temporalité est bien plus complexe et mystérieuse. L’intrigue s’inscrit en effet dans un cadre temporel à deux niveaux.
Marseille sous l’occupation allemande…
D’une part, l’histoire porte sur l’occupation allemande lors de la seconde guerre mondiale. Georg (Franz Rogowski) est un réfugié allemand qui fuit les troupes allemandes déjà parvenues jusqu’à Lyon. Il prend possession des papiers d’identité d’un écrivain dénommé Weidel après que celui-ci s’est suicidé dans un hôtel français. Arrivé à Marseille, Georg rencontre Marie (Paula Beer), la femme de Weidel qui vit maintenant avec un médecin, également réfugié. La jeune femme est désespérément à sa recherche dans toute la ville. A ce scénario sentimental complexe se greffe une troisième histoire d’amour : celle de Georg et de Marie qui connaissent une passion réciproque.
… au XXI ème siècle
D’autre part, le cadre temporel est contemporain à plusieurs égards. Les personnages principaux sont habillés comme vous et moi, les lieux reflètent un décor du XXI ème siècle, (sauf que personne ne possède de téléphone portable et que les trajets Europe-Amérique se font en bateau et non en avion).
À Marseille, une foule de réfugiés se rencontre au consulat dans le but d’obtenir un visa pour le Nouveau Monde. Leur situation fait écho à celle de la crise actuelle des migrants venus chercher une vie meilleure en Europe.
Petite critique personnelle
Bien qu’il ne fasse pas l’unanimité chez les critiques, j’ai personnellement été agréablement surprise par ce film.
J’ai été séduite par cette perspective nouvelle et ambitieuse : celle de raconter un sujet historique bien connu (puisque déjà traité à moult reprises) en prenant un cadre temporel contemporain du public de la Berlinale de 2018. Utiliser ce cadre de l’occupation allemande pour dépeindre l’antisémitisme, les rafles de juifs devant les regards médusés mais passifs de la population ; s’y faire miroiter la crise actuelle des réfugiés en Europe : voici peut-être la formule pour engendrer une réflexion critique de la part de la jeunesse vis à vis des problématiques contemporaines.
Brecht utilisait le procédé technique de l’historisation afin de créer un effet de distanciation propice pour stimuler l’esprit critique de l’auditoire : raconter une histoire dans un cadre spatio-temporel éloigné de celui du public (rompant ainsi le processus d’identification caractéristique du théâtre aristotélicien) afin d’initier une réflexion sur des enjeux contemporains. Il semblerait que Christian Petzold adopte ici une stratégie inverse à des fins similaires : transposer une situation historique dans le contexte présent afin de permettre ce processus d’identification des spectateurs, processus me semblant plus que jamais nécessaire dans la société individualiste contemporaine.
On peut sans doute reprocher à Petzold de ne pas avoir joué le jeu jusqu’au bout : pourquoi les protagonistes ne possèdent-ils pas de téléphone portable s’ils sont des figures du XXI ème siècle ? Pourquoi les réfugiés empruntent-ils un bateau pour se rendre au Mexique et non l’avion ? Il n’en reste pas moins que le procédé est audacieux, intelligent et percutant.
Ysé Massot
Infos Pratiques
Type d'évènement : Cinéma