Ombres géniales des écrivains et sensuels mathématiciens de la langue, les traducteurs jouissent d’une popularité inversement proportionnelle à leur énorme tâche ! Ils sont les éternels oubliés, ceux que l’on omet si souvent d’admirer lorsque l’on goûte une subtile tournure de phrase de Flaubert en allemand ou d’Hölderlin en français. Remis mardi dernier – 18 février 2014 – dans les locaux de l’ambassade de France, le nouvellement crée prix Romain Rolland est venu récompenser le travail de quatre de ces indispensables passeurs de culture : Elisabeth Edl et Bernard Kreiss (absent) ont reçu le prix principal tandis que Gaëlle Guicheney et Christoph Roeber se sont vu décerner le prix d’encouragement.
« Il est difficile d’estimer la valeur d’un tel prix, puisqu’il est attribué pour la première fois. Mais il constitue une belle marque de reconnaissance », déclare la lauréate Elisabeth Edl après la cérémonie. La dotation du prix principal – 10 000 euros – est aussi une source de revenu non-négligeable. « Le processus de traduction est un travail de longue haleine que les seules maisons d’édition ne peuvent pas entièrement financer. Quand je me lance dans la traduction d’un ouvrage comme « Madame Bovary », il faut compter environ trois à quatre ans si l’on inclut l’ensemble des notations », informe-t-elle. Très réputée dans son domaine, Elisabeth Edl a la chance de pouvoir choisir les oeuvres qu’elle souhaite traduire. « Il faut vraiment que j’estime possible d’apporter une meilleure traduction que celle existante, si celle-ci existe », précise-t-elle, elle qui a livré des versions allemandes pour les écrits d’auteurs tels que Stendhal, Gustave Flaubert, Julien Gracq, Patrick Modiano ou encore Philippe Jaccottet…
« Si on souffre d’être au second rang, on a mal choisi son métier »
Et si les mots « souffrance », « trahison » et « insatisfaction » reviennent avec une constance peu surprenante lorsqu’il s’agit d’évoquer le travail de traduction, Elisabeth Edl préfère leur substituer ceux de « plaisir » et de « jouissance ». Elle ne nie toutefois pas la part de frustration inhérente à cette tâche. « C’est clair qu’il est difficile d’arriver exactement à ce que l’on veut, mais quelle joie quand on y parvient ! » Ceci même si le talent et l’effort injectés conduisent finalement à peu de reconnaissance publique ? « Le travail de traduction est par définition un travail en retrait. Si on souffre d’être au second rang, on a mal choisi son métier », constate-t-elle.
Enfin, la lauréate principale du prix est fière de voir son nom associé à celui de Romain Rolland (1866-1944), écrivain français pacifiste qui a beaucoup oeuvré au rapprochement de la France et de l’Allemagne. « Il serait exagéré de parler de l’après-guerre comme d’une période idyllique, mais les échanges entre les écrivains des deux pays étaient très directs et nombreux. Ils se lisaient entre eux sans avoir besoin de traduction. Aujourd’hui, les relations sont beaucoup moins conflictuelles entre la France et l’Allemagne, ce qui est évidemment un bien. Mais j’observe que cette normalisation entraîne aussi une perte de curiosité mutuelle, surtout dans la pratique de la lecture. »
Les lauréats du prix Romain Rolland : Gaëlle Guicheney (à gauche), Elisabeth Edl et Christoph Roeber.
Texte et photos : Nicolas Donner
Lien vers la page de la DVA Stiftung, fondation responsable de l’attribution du prix Romain Rolland
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