Altenbourg, la mélancolie comme compagne

 

Jusqu’au 7 juin, le Kulturforum propose à ses visiteurs de (re)découvrir l’œuvre du dessinateur et graphiste allemand Gerhard Altenbourg. Les 110 gravures, dessins et aquarelles exposés proviennent de la collection privée du couple Walter, résidant à Stokholm.

Né en 1926, Gerhard Ströch – qui adoptera le pseudonyme d’Altenbourg au milieu des années 50 en référence à sa ville natale d’Altenburg – est encore un jeune adolescent lorsqu’il combat sous les couleurs de l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. Au front, il abat un soldat russe à l’aide de sa baïonnette, après une lutte au corps-à-corps. Cet évènement macabre suscite chez lui une profonde désillusion à l’égard du genre humain. Quelques années plus tard, Altenbourg produit ses premières œuvres, véritables reflets de ce traumatisme. Il dessine alors exclusivement en noir et blanc et représente des visages humains empreints de caractéristiques animales, à l’image, par exemple, d’un groin qui remplace un nez.

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Si des couleurs apparaissent progressivement dans les travaux d’Altenbourg, et s’il se distancie de la brutalité qui caractérise ses premiers dessins, le désenchantement provoqué par le front ne le quittera jamais. A l’aide de cinq phases retraçant sa carrière, l’exposition présente successivement ses lithographies, gravures colorées et aquarelles et donne à voir l’évolution de ses œuvres, où la violence s’éclipse pour se transformer en mélancolie. Les dessins fourmillent de détails. Riches de cette complexité, ils reflètent le rapport torturé qu’entretient Altenbourg avec la société et lui-même. « Das gezeichnete Ich », c’est aussi l’histoire d’une amitié née au-delà du rideau de fer, entre l’artiste et Rolf Walter. C’est Altenbourg lui-même qui donne la plupart de ses pièces à M.Walter pendant la guerre froide, les moyennant contre des livres édités à l’ouest ou des catalogues d’expositions provenant de musées occidentaux.

Vivant en Allemagne de l’est pendant toute sa carrière, Altenbourg doit composer avec la surveillance de la Stasi. Les autorités ne voient pas d’un bon œil son travail excentrique, si éloigné des canons du réalisme socialiste et de la représentation de ses héros. La commissaire de l’exposition, Anita Beloubek-Hammer, rappelle ainsi son « rôle particulier sur la scène artistique de la RDA », où il fait figure de résistant à l’encontre de la censure. Mais selon Altenbourg, le paradis est perdu pour les hommes, qu’importe le modèle de société choisi. « Nous naissons et mourons dans une société socialiste ou capitaliste. Mais nous sommes seuls face à la Mort, le socialisme comme le libre-marché ne sont d’aucune aide », déclare-t-il au cours d’une interview en 1987, deux ans avant qu’un accident de voiture ne lui coûte la vie.

Photos : Camille Baissat

Camille Baissat

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