Attentat réussi contre l’homophobie

La pièce « Small Town Boy » de Falk Richter est à sa manière une leçon de liberté. Elle lutte avec engagement et provocation contre les oppressions – autrefois bruyantes aujourd’hui plus sournoises et silencieuses – de notre société moderne. Elle défend surtout ouvertement les droits des homosexuels, une minorité qui devra encore taper sur quelques clous avant de définitivement faire entendre sa cause. Mais Nietzsche, cité sur scène, n’invitait-il pas à philosopher avec un marteau ?

Nommé d’après la chanson du groupe britannique Bronski Beat sortie dans les années 1980, « Small Town Boy » analyse avant tout les relations humaines de notre époque. Est-ce que l’on peut devenir un autre homme ? Une autre femme ? Peut-on casser les liens de filiation ? Peut-on sortir du moule pour de bon et aimer librement, autrement ? Les thématiques et le ton ne sont pas sans rappeler les protestations de la Beat Generation, l’écologie et la drogue en moins.

Charge politique contre Poutine et Merkel


Thomas Wodianka et Aleksandar Radenković ©Thomas Aurin

L’histoire est clairement secondaire dans ce théâtre d’idées et d’émotions : deux relations homosexuelles se développent et une femme joue tour à tour différents rôles au milieu de ces quatre hommes. Sans réelle continuité, les 25 scènes qui forment l’ossature de la pièce n’ont pas tant pour but de faire avancer la narration que le propos ; les acteurs sont moins des personnages que les porte-paroles de l’auteur. Les postulats de Falk Richter sur la solitude, la recherche de l’âme soeur, Berlin, le mariage et l’éducation peuvent être lancés, contredits, confirmés par des acteurs beaux et bourrés de talents.

Les échanges sont crus, « cash », drôles et souvent plus profonds qu’ils n’en ont l’air. Et après que le public a assisté vers la fin de la pièce au bruyant coït d’une femme de pouvoir recherchant la soumission – référence très peu voilée à la chancelière allemande -, survient le « pinacle » de la soirée : une massive charge politique d’un bon quart d’heure sur la situation des homosexuels en Russie ! Entouré de clichés de Vladimir Poutine, d’Angela Merkel et de la chanteuse d’opéra Anna Netrebko, le remarquable Thomas Wodianka crible de plomb la classe politique et tous ceux qui n’ont pas le courage de leurs opinions… ou qui n’ont tout simplement ni courage ni opinion.

C’est un cri, pas une thèse universitaire

A l’instar de la pièce dans son ensemble, ce monologue offert sur la scène du Maxim Gorki Theater est kompromisslos. La critique allemande l’a moyennement reçu, reprochant notamment à la pièce de ne pas désamorcer les bombes posées, en offrant des solutions « adultes » et sereines. Une critique peu recevable car on ne saurait demander à un cri d’être rempli de patience et d’intelligence : un cri est un refus primaire et absolu qui doit sortir. Le temps viendra peut-être ensuite de nuancer, de réfléchir plus posément. Mais dans le cas de cette prise de parole musclée, la colère exposée possède une fascinante beauté et une juste énergie qui ne pourrait que se consumer et se perdre si l’on oubliait parfois de crier certaines vérités. C’est sans doute ainsi que doit être envisagé « Small Town Boy », cet attentat au marteau contre l’homophobie et autres poisons mentaux qui étriquent et pourrissent nos vies.

Nicolas Donner

Photo vignette : Mehmet Ateşçi et Thomas Wodianka ©Esra Rotthoff

Sous l’égide de sa nouvelle directrice d’origine turque Shermin Langhoff le théâtre berlinois Maxim Gorki a été élu théâtre de l’année 2014.

1 Commentaire
Laisser un commentaire