Depardon : Berlin était une île

L’Institut français de Berlin expose une sélection des clichés d’une légende du photo-reportage, Raymond Depardon, jusqu’au 28 février 2015 à l’occasion de la publication de son livre en Allemagne, « Raymond Depardon : Berlin » chez Steidl Verlag dans lequel il présente 300 photographies qui retracent l’histoire de la ville.

Grand reporter, ce faiseur d’images modeste et extrêmement humain entretient avec Berlin une relation particulière depuis 50 ans. Né en 1942, « la pire année du siècle » indique-t-il lors du vernissage de l’exposition, Depardon découvre et traverse un moment de l’histoire européenne à Berlin. Cette dernière accompagnera son évolution professionnelle entre 1962 et 2013. D’hier à aujourd’hui, pénétrons dans le Berlin de cet « amoureux des objectifs allemands et de la lumière de la capitale« .

1962. Tout jeune photographe, peu expérimenté mais passionné, il est envoyé par l’agence dont il est salarié, tout d’abord à Hambourg pour couvrir d’importantes inondations puis à Berlin où Bobby Kennedy, le frère du président américain est en déplacement. Il débarque à l’aéroport de Tempelhof. Un peu perdu, ne parlant ni anglais ni allemand, il demande à son taxi de le conduire dans le secteur français et se retrouve Bernauer Straβe. Le Mur est en pleine construction depuis quelques mois. Presque par hasard, son regard est attiré par un groupe d’enfants qui s’amusent à construire un petit mur, à deux cents mètres du vrai, avec des briques qu’ils ont récupérées. Les enfants séparés en deux clans font semblant de se tirer dessus, « comme beaucoup d’enfants qui jouent à la guerre« . C’est sa première visite à Berlin.

Il revient en Allemagne pour photographier la reine Elisabeth ou encore Alexeï Kossyguine de passage à la foire de Leipzig. C’est à cette occasion, raconte t-il, qu’un dimanche soir, il se retrouve à Checkpoint Charlie en rentrant à Berlin-Ouest. Ayant gardé trop d’argent, il sera contraint d’acheter un disque de Bartók et des cigares cubains, escorté par un VoPo !

1978. À la suite de ses travaux sur les asiles psychiatriques italiens, Depardon est invité à couvrir le congrès de Tunix à Berlin, auquel participent Michel Foucault, Deleuze et Guattari, en pleine effervescence punk et alternative réclamant la libération de membres de la Fraction Armée Rouge, la bande à Baader. Mais, remarque-t-il, ces photos à l’époque intéressent peu les journaux français. Toute la presse européenne ne parle que d’Hambourg ou de Munich, mais pas de Berlin.

1989. Au moment de la chute du Mur, Depardon est prévenu le 9 novembre par le chef du service photo de Libération qui s’est souvenu qu’il était déjà sur place dans les années 60 au moment de sa construction. Il y arrive le lendemain alors que commencent à arriver les photographes du monde entier. Mais ces derniers campent aux mêmes endroits. Il choisit alors de retourner dans les quartiers du secteur français, à Bernauer Straβe. Il est presque seul. À peine un ou deux photographes allemands. Pas de télévision. Il capture certains « des moments les plus émouvants qu’il n’ait jamais vus« , raconte-t-il. Les gens franchissaient le Mur, faisaient 20 mètres de l’autre côté et s’effondraient en sanglots.

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Berlin, Allemagne. 1989 © Raymond Depardon / Magnum Photos

Il avoue avoir mieux compris la ville quand le Mur est tombé. Ses friches, son histoire, l’isolement de Berlin-Ouest, puis assiste à la lente mais inexorable transformation de la ville.

2013. Le Berlin d’aujourd’hui ? Un Berlin qui a gardé une des plus belles lumières qu’il connaisse. Une ville en perpétuel mouvement, « définitivement tournée vers l’avenir sans renier son passé« . Mais aussi une ville poétique, où l’on peut faire de la barque comme dans le film muet d’avant-guerre Les Hommes le dimanche de Robert Siodmak et Edgar G. Ulmer et où de jeunes mariés peuvent s’embrasser devant le Bode Museum…

Né en France en 1942, Raymond Depardon photographie dès 12 ans sa ferme familiale du Garet. En 1958, il monte à Paris et intègre l’agence Dalmas comme reporter avant de co-fonder en 1966 l’agence Gamma. De 1974 à 1977, il couvre comme photographe et cinéaste la prise d’otage dans le nord du Tchad de l’ethnologue Françoise Claustre. Puis signe ses premiers films documentaires : 1974, une partie de campagne (sur l’élection de Giscard d’Estaing), San Clemente. Ayant rejoint Magnum en 1978 il continue le grand reportage et les publications de livres. Son dernier film, coréalisé avec Claudine Nougaret, Journal de France, met en abîme son dernier travail (en sillonnant la France en camping-car) et 50 ans de photojournalisme. Le film a reçu le César de meilleur documentaire en 2013.

ASC.

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