Fritz Bauer, héros allemand durant le procès d’Auschwitz

Une leçon sur la pensée nazie et sur le combat d’un homme épris de justice. Le film Der Staat gegen Fritz Bauer de Lars Kraume (en français Fritz Bauer : un héros allemand) est à l’affiche depuis jeudi.

Fritz Bauer (1903-1968) était juge. Juif aussi. Et homosexuel. En tant que procureur général de la République fédérale, il fut contre vents et marées l’initiateur des procès « d’Auschwitz » à Francfort-sur-le-Main où comparurent des criminels nazis.

© Martin Valentin Menke
© Martin Valentin Menke Alamode Film

Le début de la fiction se rapproche de la vraie fin : un homme, dans sa baignoire, des somnifères et un verre de vin rouge. C’est une vie dangereuse que mena le social démocrate. En 1936, il fuit le régime nazi et se réfugie en Scandinavie. Le juge devenu procureur général entame une longue marche judiciaire – quelque peu solitaire – contre les criminels nazis. Alors que le chancelier Adenauer s’attèle à la réconciliation de son pays et du jeune Israël, la priorité est à l’expansion économique et la Guerre froide domine l’actualité. La terreur du régime nazi est passée sous silence par l’Allemagne des années 1950. Mais son ombre lui colle à la peau. Le corps juridique, lui, est majoritairement composé d’anciens nazis – les uniformes en moins.

Pour sauver son pays, il faut savoir le trahir

En 1957, le juge Fritz Bauer apprend qu’Adolf Eichmann se cache à Buenos Aires. Les tribunaux allemands préfèrent tourner la page plutôt que de le soutenir. D’où le choix pertinent du titre du film : « L’État contre Fritz Bauer » et non « Fritz Bauer contre l’État ». Ralenti par les embuches qui lui sont tendues, il décide de faire appel au Mossad, les services secrets israéliens, pour mener à bien l’arrestation d’Adolph Eichmann, responsable de l’extermination de millions de juifs pendant la Shoah. Le rôle déterminant de Fritz Bauer dans le « plus grand procès pénal de l’histoire judiciaire allemand » (Süddeutsche Zeitung) ne sera connu que dix ans après sa mort.

La personnalité unique de Fritz Bauer, son combat pour la justice, sa collaboration avec Israël, la capture et le procès d’Eichmann en 1962… Tout est bouleversant. L’imbroglio de pouvoir, de justice, d’hypocrisie et d’irresponsabilité est frappant de stupeur. On est étrangement fasciné.

Le film, réalisé avec passion et conviction, retrace ce moment décisif où les assassins doivent payer le prix. Imperturbable, solitaire et sauvage, Bauer est décidé à remuer le couteau dans la plaie. La trame n’est pas sans rappeler celle du très réussi Labyrinthe du silence de Giulio Ricciarelli. Lars Kraume privilégie une facture biographique tout en donnant à son récit un ton de thriller captivant. Et pour donner consistance et piment à son héros, superbement interprété par Burghart Klaussner, le réalisateur lui invente un collaborateur et acolyte (Ronald Zehrfeld). L’estime réciproque que se portent ces esprits marginaux sera grandissante.

© Martin Valentin Menke Alamode Film
© Martin Valentin Menke Alamode Film

« Je voulais absolument jouer ce rôle de Fritz Bauer », affirme Burghart Klaussner. « Absolument. Parce que j’ai toujours voulu jouer un héros, un héros brisé. Il n’y a pas beaucoup de personnes de ce genre en Allemagne ». Un rôle qui lui était destiné : derrière l’imposante silhouette d’un fumeur grincheux à l’accent souabe caractéristique, la ressemblance est étonnante.

Pour le réalisateur, Fritz Bauer est un exemple, une idole dont le nom mérite davantage d’éclat et de renom. Le film pourrait y changer quelque chose.

Clara Lehmann

1 Commentaire
  • Jouvinier Michelle

    Très beau film Y a-t-il encore des hommes de cette trempe épris de justice cela nous fait réfléchir sur l’¨égoïsme des individus privilégiant leur carrière à la justice!

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