Magistral West Side Story

What a show ! La comédie musicale West Side Story, présentée par le Komische Oper Berlin, n’a rien perdu de sa fraîcheur malgré les années passées – première représentation à New-York en 1957 déjà ! La rivalité entre les Jets et les Sharks et l’amour shakespearien entre Maria et Tony continuent d’exercer un fabuleux pouvoir de séduction sur les spectateurs d’aujourd’hui. Non sans de très bonnes raisons…

Car impossible de le nier : la pièce originale est en soi géniale. Elle a su canaliser les aspirations certes naïves mais heureusement existantes de la jeunesse de l’époque – celles d’un amour libre dans un monde de tolérance – tout en les mêlant à une noirceur ambiante toute aussi réelle, celle de la guerre des gangs dans les quartiers ouest de New-York à la fin des années 1950. Ce n’est toutefois pas tant cette trame originale que la rencontre entre plusieurs génies qui firent de West Side Story l’une sinon LA comédie musicale du XXe siècle. La partition de Leonard Bernstein, les paroles et textes de Stephen Sondheim et Arthur Laurents et la chorégraphie de Jerome Robbins sont autaut de perles inséparables les unes des autres qui assurent une unité de ton et de rythme à cet opéra moderne. Une unité d’ensemble absolue et d’autant plus remarquable que c’est précisément par son audace musicale et le brassage inédit de ses styles que cette œuvre étonna – rencontre osée et extrêmement novatrice pour l’époque entre le mambo et le jazz, la musique traditionnelle juive et les airs classiques d’opéra.

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© Iko Freese / drama-berlin.de

Mais comme la vie est bien faite – parfois -, ce n’est pas dans les mains de bourrus grossistes que ce diamant échut mais dans celles d’excellents joailliers. La mise en scène de Barrie Kosky et la chorégraphie d’Otto Pichler – conjuguées aux talents de beaucoup d’autres – rendent parfaitement le sentiment de naturel et d’âpreté voulu par les auteurs originaux. Les bandes rivales des Jets et des Sharks se provoquent et se combattent par la danse tout en adoptant le langage et les tenues vestimentaires propres à leur âge et à leurs origines – jeans et pull à capuches colorés pour les uns, torses nus et tatouages tribaux pour les autres. Et c’est au milieu de cette haine que naît l’amour pur entre Maria et Tony, elle sœur de Bernardo – le leader des Sharks – lui ancien leader des Jets qui a désormais tourné le dos à cette guerre des clans…

« Il n’est pas nécessaire de voir la ville ; il est important de la sentir ! »

Si le diable se cache dans les détails, on peut avancer qu’il en va de même de la perfection. Et force est de constater que sur la scène du Komische Oper, tout paraît si juste. Le décor est d’un dépouillement extrême, composé de deux longues échelles latérales et par instant de boules à facettes, d’un lit ou d’un étal à légumes et… c’est à peu près tout. « Nous voulions un West Side Story dans lequel l’urbanité de n’exprime qu’à travers la lumière et les corps humains », explique le metteur en scène Barrie Kosky dans la brochure d’accompagnement. « Il n’est pas nécessaire de voir la ville ; il est important de la sentir ! »

Evolution urbaine oblige, le balcon de Romeo et Juliette – inspiration notoire des auteurs – est devenu une plateforme en fer suspendue dans les airs où Tony rejoint transi sa bienaimée Maria par l’échelle. Les chants et mélodies sont superbes – en anglais – tandis que les dialogues parlés – en allemand* – se veulent un mélange fidèle à l’esprit jeune et urbain des années 1950 et au nôtre. Mais c’est surtout par le corps et la danse que les protagonistes s’expriment. Ronde, face-à-face, combats ; toutes les scènes sont exécutées là aussi avec un grand naturel tant dans les enchaînements, la gestuelle que dans les expressions faciales des danseurs et danseuses. Même les seconds rôles – mention particulière au convaincant lieutenant Schrank qui ne se sépare jamais ni de ses cigarettes ni de son arrogance – sont incarnés avec brio, ce qui en dit long sur le soin apporté à chaque détail par des concepteurs soucieux d’une simplicité qui confine souvent à l’excellence.

Bref, vous l’aurez compris, ce West Side Story est un grand moment de scène qui mérite d’être vécu. La critique allemande a été très élogieuse à son égard et l’accueil réservé par le public est si favorable qu’il a été difficile jusque là d’obtenir des places.

Nicolas Donner

*Le Komische Oper propose un service de traduction intégré aux sièges en quatre langues – français, anglais, allemand et turc. 

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