Atmen, a-t-on encore le droit de donner naissance ?

Voici un crime d’un nouveau genre : respirer ! Ou plutôt donner naissance à un enfant qui respirera, mangera, boira et… polluera immanquablement une planète Terre qui demanderait volontiers un petit break à l’homme en la matière. Telle est la pensée centrale débattue avec science et panique dans la pièce de théâtre Atmen, actuellement représentée à la Schaubühne.

Cette œuvre du jeune auteur britannique Duncan Macmillan expose les turpitudes d’un couple qui prend en considération TOUTES les altérations que la naissance d’un premier enfant ne manquerait pas de provoquer – des bouleversements hormonaux jusqu’au problème mondial de la surpopulation en passant par les perspectives de carrières. La question, maladroitement mise sur le tapis par l’homme… dans une fille d’attente chez Ikea, va profondément ébranler les certitudes de deux jeunes adultes bien plus conscients des problèmes environnementaux que des dynamiques négatives et destructrices qui se développent à l’intérieur de leur propre couple.

Assis à pédaler sur des vélos pendant plus d’une heure…

 

Mais comment pourraient-ils en être conscients ? La mise en scène habile de Katie Mitchell pose déjà les fondements d’un éloignement figuré : elle et lui – leurs prénoms nous restent inconnus – ne se touchent jamais ; ils sont assis à pédaler côte à côte chacun sur son vélo à quelques mètres de distance. Et ils ne font que ça pendant toute la pièce ! Zéro changement de décor, de tenue ou de position pendant l’heure et quart que dure la représentation : les deux acteurs – les excellents Lucy Wirth et Christoph Gawenda – pédalent non-stop à un rythme constant et nécessaire pour assurer l’éclairage de la scène.

Cet original procédé – on pourrait parler d’un « théâtre écologique » – ne renferme pas qu’une astuce scénique. Ce pédalage incessant figure également les efforts illimités produits par ces deux adultes qui réfléchissent sans jamais fléchir et qui se parlent sans jamais vraiment s’écouter. Et d’ainsi témoigner d’un vrai malaise communicationnel – l’actrice s’écrie d’ailleurs souvent « je n’aurais pas dû te dire ça » – entre deux êtres devenus esclaves de la pensée. Le titre de la pièce Atmen – soit « respirer » en français – se rapporte d’ailleurs directement à cette pause, à cette ample et salutaire respiration qui permettrait à chacun d’eux de peut-être retrouver la sérénité.

atmen

Le sens de donner naissance dans un monde surpeuplé

Sauf qu’à aucun moment les deux acteurs ne la prennent, cette fameuse respiration. Rationnels à l’excès – elle bien plus que lui – ils soliloquent davantage qu’ils ne dialoguent. Leur savoir n’est plus source de tranquillité mais d’angoisse ; ils sont les coupables qui vont venir ajouter un + 1 à ce nombre toujours croissant, affiché en rouge au-dessus de leur tête, qui indique en temps réel l’évolution de la population mondiale, passée à plus de 7 milliards en 2011. Ils se rassurent en se disant qu’ils trient les déchets, consomment local, roulent à vélo ; « Wir sind doch gute Menschen » se répètent-ils pour se tranquilliser. Oui, mais eux, citoyens « modèles » savent la vérité ; ils ont lu les ouvrages sur la catastrophe écologique en cours, ils connaissent les chiffres de l’empreinte individuelle humaine. Et au moment d’envisager de faire naître un enfant, ils ne peuvent plus faire « comme si »…

Le texte de Macmillan est percutant, intelligent et drôle par moments, ce qui s’avère absolument capital sachant que c’est lui seul qui porte la pièce. Mais c’est surtout l’exposition sur scène de nouvelles angoisses existentielles – réellement contemporaines vue la « fraîcheur » du phénomène – qui rend cette pièce particulièrement originale. On a l’habitude de voir traiter dans la littérature la crainte féminine bien légitime de devenir maman mais beaucoup moins de la voir être liée à des préoccupations écologiques. Comme tétanisés par cette étape, la femme, dominante paniquée, et l’homme, suiveur rassurant, en viennent à simplement oublier de vivre. Ils oublient l’insouciance et ne pensent plus qu’en termes de chiffres angoissants ; ils s’aiment mais s’enferment pourtant dans le piège du reproche permanent. A une seule reprise l’homme confie-t-il s’être véritablement évadé au volant de sa voiture, et n’avoir pensé à rien. Une « respiration » paradoxale évidemment, mais qui traduit bien une urgence : celle d’attacher à la décroissance et aux pratiques responsables non pas un dogme culpabilisant mais bel et bien un immense plaisir de vivre. Une ample et salutaire respiration.

 

Nicolas Donner

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