La lourde histoire de Berlin à travers le regard d’un couple d’octogénaires

Ingrid et Joachim Kamratowski ont à peu près tout connu à Berlin. Nés respectivement en 1932 et 1931, ils ont vécu enfants la Seconde Guerre mondiale et ont souffert de la faim dans une ville détruite et coupée du monde l’espace de quelques mois. Mariés en 1957, ce couple allemand a pourtant vécu séparé deux moments clés de l’histoire de la ville : la construction d’un jour à l’autre du Mur de Berlin – 12 au 13 août 1961 – et sa destruction aussi soudaine dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989. Dans le premier cas, Ingrid était en Italie. « J’ai lu l’information dans un journal italien. Je n’ai pas tout compris, mais j’ai en tout cas eu peur de ne pas pouvoir revenir », se souvient-elle. Lors de la chute du Mur, c’est Joachim qui se trouvait à l’étranger. « J’étais à Londres. J’ai vu ça à la télévision et je suis revenu direct ! »

La particularité des Kinderlandverschickungen

Ce couple, qui réside depuis plusieurs années dans le district de Spandau, a surtout atteint un âge où le temps qui passe rend la récolte de témoignages sur la Seconde Guerre mondiale de plus en plus rare et délicate. Eux l’ont vécu et s’en souviennent particulièrement bien. Si leur histoire n’est pas vraiment similaire – Ingrid a notamment vécu l’arrivée plutôt brutale des Soviétiques -, leur récit ressemble sans doute à celui de nombreux enfants d’alors, trimballés d’une ville à l’autre, d’un village à un autre village.

Ce récit passe par un vocabulaire commun d’abord : il y a notamment les Kinderlandverschickungen (KLV) soit l’envoi des enfants dans des terres moins exposées que les villes, régulièrement bombardées par les Alliés dès 1940. « Dans les faits, c’était pour nous protéger, mais cela ressemblait à un entraînement militaire précoce. Une étape pour nous préparer aux jeunesses hitlériennes qui venaient plus tard, dès l’âge de 14 ans. », explique Joachim. Ingrid se souvient quant à elle avoir collectionné avec les enfants de son âge les Granatsplitter (éclats d’obus). Et si elle le pouvait, elle oublierait volontiers le lancinant bruit des sirènes, signe annonciateur de bombardements imminents. « Furchtbar » (terrible) est le premier mot qu’elle prononce. « Nous étions à tout moment prêts à sortir du lit et à nous réfugier à la cave. »

« Je me suis baladé dans les ruines de Berlin »

couple-octogénairesL’ancienne Chancellerie du Reich vers 1947. Photo ©Joachim Kamratowski-Le bunker d’Hitler en surface, après le dynamitage de la tour, vers 1947. Photo ©Joachim Kamratowski

Revenu en 1946 à Berlin, Joachim découvre une ville complètement détruite, où seules subsistaient les charpentes de maisons. « Je me suis baladé dans les ruines de Berlin. Je me souviens être passé à côté de l’ancienne Chancellerie du Reich et du bunker d’Hitler. Cette zone était interdite d’accès pour les Allemands. On voulait éviter que des « cultes » autour du IIIe Reich renaissent. » L’après-guerre immédiat est surtout le souvenir commun d’une disette insoutenable. « L’hiver 1946 a été terrible. Et puis il y a ensuite eu le blocus soviétique de 1948 à 1949. » A ce propos, Joachim se remémore une anecdote que sa femme ignorait. « J’avais lu dans les journaux que les avions occidentaux du pont aérien revenaient vides à leurs bases en Allemagne de l’Ouest. Je me suis proposé pour en profiter et j’ai pu voler jusqu’à Lübeck avec deux pilotes anglais ou américains, je ne sais plus. Je savais par contre que le retour à Berlin allait être délicat. Et ça n’a pas manqué, puisque j’ai été arrêté et interrogé par des officiers de l’Est. Je m’en suis tout de même sorti… » 

La correspondance par lettres avec une Française…

Les années d’après-guerre étaient aussi à Berlin celles d’une grande internationalisation, avec la découverte de nombreuses influences étrangères. « La Maison de France s’est installée en 1950. Et au cinéma, avant chaque film, il y avait une « Wochenschau » (l’ancêtre du journal télévisé) qui nous permettait de savoir ce qui se passait aux Etats-Unis, en Angleterre et en France. Et chaque nation avait sa « Volksfest » (fête populaire). » Elle correspond également à une période de redécouverte, notamment celle des auteurs, peintres, psychologues et cinéastes mis à l’index en Allemagne dès 1933. « Berlin était déjà très vivante et internationale alors que nous étions finalement qu’une enclave en pleine Allemagne de l’Est », observe Joachim.

Il y aurait évidemment énormément de souvenirs intéressants à retenir de notre discussion avec ce couple qui a vécu plus de 80 ans dans une ville qui a concentré comme aucune autre ville en Europe des enjeux politiques cruciaux. Retenons peut-être une lueur parmi les décombres, puisque c’est aussi en cette période de l’après-guerre qu’Ingrid entame une correspondance avec une Française, Simone, en 1949. « Je lui ai rendu visite en France. Pendant longtemps, son entourage a eu honte de dire que j’étais Allemande. » Une belle et longue correspondance qui s’est étirée sur plus d’un demi-siècle et qui ne s’est arrêtée qu’avec le décès de sa correspondante française il y a quelques mois…

Nicolas Donner

1 Commentaire
  • Le Michel

    Allemagne 1953, la réunification manquée
    « Le 10 mars 1952, la RFA et la RDA ont à peine trois ans d’existence. Si leur frontières sont bien gardées, elle peuvent encore communiquer librement à travers Berlin-Ouest. Ce 10 mars 1952 précisément, Staline adresse à Adenauer une note où il propose au chancelier de remettre en marche le processus de réunification de l’Allemagne en échange de sa neutralité et de sa démilitarisation ».Pour éviter le réarmement de l’Allemagne de l’Ouest, l’Union soviétique avait proposé, à plusieurs reprises, la réunification de l’Allemagne et sa neutralisation.
    https://www.facebook.com/330995010444666/videos/612029069007924/

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