Luc Bondy est de retour à Berlin avec une mise en scène de Don Juan kommt aus dem Krieg ! Ce texte, écrit par Ödon von Horváth, est repris sur la scène du Berliner Ensemble, à la mémoire de Patrice Chéreau, un ami proche du metteur en scène français.
L’histoire : la Première Guerre mondiale touche à sa fin. Subsistent des femmes, une ambiance feutrée, une scène toujours sombre, et l’on danse dans des costumes des années 1920 (confectionnés par Moidele Bickel). On fume, on boit pour oublier les absents. On palpe une fausse gaieté, des rires inquiétants éclatent.
Don Juan, interprété par Samuel Finzi, est las de la personne qu’il a été. Il erre mélancolique à la recherche de son idéal féminin, lâchement abandonné avant la guerre. Cette guerre semble l’avoir touchée au plus profond de lui-même, il se sent changé et veut retrouver ce qu’il a détruit. Au début, on plaint cet homme à demi fou et persuadé d’être suivi – par sa conscience ? Tout le monde se souvient de ce coureur et pourtant on a envie de croire à son repentir. Sur son chemin, il croise des femmes qu’il ne désire plus ou juste un instant, quand il croit retrouver en elles celle qu’il a abandonnée. Le passage d’un lieu à l’autre est facilité par la scénographie judicieuse de Karl-Ernst Herrmann : de longues bandes blanches ainsi que deux grands portants noirs découpent la scène en différents espaces très anguleux, pointus et secs, comme le ton général de la pièce.
L’un des plus grands talents de Luc Bondy est le choix de ses acteurs. Il le dit lui-même : cette tâche exécutée, le 80% du travail de metteur en scène est gagné. Peut-être n’est-ce que modestie, mais il est vrai qu’en ayant choisi Samuel Finzi pour interpréter Don Juan, Luc Bondy assurait à lui-même ainsi qu’à son public un moment de délice. Son jeu est sobre, comme celui de Don Juan face aux femmes. Il joue l’épuisement physique, moral et sentimental à merveille, sans faux-semblants. Comme à son habitude, Luc Bondy a choisi une mise en scène simple et efficace.
Le choc des sexes et des générations
L’auteur aime jouer avec les clivages : hommes-femmes, amour-désir, anciennes et nouvelles générations. Les femmes sont des poules, l’homme est coq, elles gloussent et il glapit. Quand il se rend compte que ce ne sont que de pâles imitations, il les répudie et ne fait plus semblant. Sa froideur glace et le gagne, jusqu’à ce qu’il se transforme lui-même en bonhomme de neige.
Quant aux tensions entre la nouvelle génération et celle qui l’a précédée, Horvàt, puis Luc Bondy par sa mise en scène, présentent de jeunes femmes insolentes, qui n’ont pas peur de danser, de porter des jupes courtes, de hausser le ton, de se battre ouvertement pour une cause politique, de gagner leur propre argent. Elles ne sont plus pareilles à cette jeune femme habillée d’une longue jupe « décente », silencieuse, douce, qui attend qu’un homme lui propose de partager sa vie et d’élever leurs enfants. La Première Guerre mondiale a eu lieu, les femmes sont nombreuses, beaucoup d’hommes sont morts ou devenus fous comme Don Juan. Elles mènent la danse et pourtant, face à Don Juan, elles semblent rester soumises.
A la recherche d’un idéal mort : un texte fataliste
Pendant toute la pièce, on entend parler du “grand Idéal”, qu’il s’agisse d’un idéal féminin que Don Juan cherche chez les femmes ou d’une société idéale, où les femmes auraient les mêmes droits que les hommes, où aucune classe n’opprimerait l’autre.
La violence, le mensonge et le mépris règnent. Don Juan répudie les femmes mais elles se vengent presque toujours ; aucune ne l’aime, au mieux le désirent-elles de façon animale. Si l’une ruine sa réputation par des mensonges, l’autre lui prend son argent. Quant à son idéal, la seule femme qui aurait pu l’aimer est devenue folle avant de mourir. Il lui déclare son amour par lettres tout au long de son voyage et espère, en vain, la réponse d’une défunte.
Pourquoi toutes ses femmes qui disent tant admirer leur mari se jettent-elles dans les bras de Don Juan ? Est-ce un masochisme intrinsèque à la nature humaine ? Une femme demande à Don Juan ce qui l’attire tant vers lui, et lui de répondre « rien », comme un désir du néant, du vide et de la mort.
Malgré une mise en scène efficace et des acteurs talentueux, on sort étrangement fatigué ou ennuyé de la salle du Theater am Schiffbauerdamm. Peut-être la pièce manque-t-elle de surprises ou le jeu de Finzi est-il si bon que la morosité de son personnage va jusqu’à gagner le spectateur ?
Luc Bondy choisit d’introduire la pièce avec les mots de Ödon von Horvàt, qui décrivent l’immortalité de personnages comme Don Juan et la nécessité de les restituer à notre époque pour nous les rendre plus proches et plus vivants. Don Juan kommt aus dem Krieg est une pièce cynique et dans le même temps elle nous dit que le monde évolue, que les êtres humains sont mus par des émotions et une raison qui les poussent à agir. Espérons qu’en prendre conscience ostracise ce fatalisme inhibant.
Marie Roth
Photos : ©Martin Walz et ©Ruth Walz
Infos Pratiques
Mitte
Berliner Ensemble
31 €
Réduit : 6 €