Le Brel allemand, vraiment ?

L’artiste franco-allemand Dominique Horwitz reprend pour la troisième fois dans sa carrière de nombreuses chansons du chanteur belge à l’occasion de son spectacle Brel! À découvrir jusqu’au 3 novembre au Tipi am Kanzleramt.

Solide gaillard, vêtu d’un costume gris coupé d’une cravate « vert-terne », Dominique Horwitz partage davantage les traits de Dany Boon ou Ulrich Mühe (l’acteur allemand de Das Leben der Anderen) que ceux de Jacques Brel. Ce constat ne juge en rien ; il rend compte de la difficulté initiale à opérer un quelconque rapprochement sur le plan physique, assurément le plus superficiel et aisément compensable de tous. Mais après quelques chansons sourd l’interrogation : Dominique Horwitz surjoue-t-il volontairement la raideur de Jacques Brel, peu virevoltant sur scène, micro sur pied oblige ? Pieds, bassin, épaules figés, seuls les bras du comédien allemand remuent l’air, renvoyant un sentiment de rigidité qui l’enferme immanquablement dans le peu désirable registre de la caricature. D’autant plus que si Brel se mouvait peu, ses bras mais surtout son visage suffisaient à tout dire avec une force d’expression que l’on ne retrouve pas chez Dominique Horwitz.

Voix et accompagnement musical

C’est évidemment sur ce point que l’on attend un artiste s’inscrivant dans le registre de la reprise. Et là, la transformation de l’essai est en bonne voie… mais le ballon ovale vient s’écraser avec violence contre l’un des montants plutôt que de filer en douce entre les poteaux. La voix d’Horwitz se confond parfois parfaitement avec celle de Brel, dont le phrasé est sans doute parmi les plus difficiles de la chanson française à imiter. Puis… patratras ! A fréquences régulières la note se couvre de teintes nasillardes insupportables qui nous éloignent irrémédiablement des longs accents mélodiques tenus avec sûreté par Brel. Une possession de voix plus qu’intermittente et qui varie selon les chansons ; ça passe parfaitement pour « Madeleine », « Rosa » et « Les bourgeois » ; ça casse complètement pour « Sans exigences », « Avec élégance » et « Je suis un soir d’été » sur lesquels une orchestration surchargée vient de plus trahir le délicat agencement des compositions originales, parmi les plus belles de Brel.

Le créateur et le repreneur

Reprendre Brel ? Folle entreprise serait-on tenté de penser de prime abord. Le problème est qu’on le pense toujours au terme de la représentation de Dominique Horwitz. Car opérer sa démarche revient à quelque peu oublier (ou du moins négliger) que si des artistes deviennent des idoles populaires, c’est que personne ne leur ressemblait et qu’ils ne ressemblaient à personne. Leur personnalité, indépendamment des œuvres accomplies, était à part, simplement à part. Ainsi les chanteurs qui se frottent à l’exercice de la reprise s’y piquent immanquablement dès lors qu’ils n’injectent pas une couleur inédite ou un sens nouveau à un répertoire. Or, Dominique Horwitz ne se livre pas à cette véritable réinterprétation, se contentant d’introduire les chansons en allemand pour ensuite les interpréter avec sincérité et un certain talent en français. Il a par ailleurs le mérite de faire découvrir – le mot semble exact d’après les réactions surprises de la salle à l’écoute de certains textes – au public germanophone l’un des plus beaux répertoires de la chanson française, sertis de bijoux musicaux qui croquent l’homme dans tous ses contours en trois minutes là où d’autres artistes ne disent rien qui vaille en cent livrets.

Au final, l’impression générale est partagée. On ne peut évidemment pas en vouloir à Dominique Horwitz d’aimer le « Grand Jacques » et de vouloir faire revivre ses textes plus de trente ans après sa mort. Mais on peine à lui laisser passer de n’avoir pas compris que Brel et Brel seul – cet artiste qui plus qu’aucun autre semblait vivre, rire et pleurer avec ses textes – savait donner à ses chansons un poids émotionnel immense et un caractère… inimitable.

NDO

Photos: © Jan Wirdeier et Dominique Horwitz

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