Le mythe du pasteur allemand

« Leben nach Luther » est le nom de la dernière exposition en date du Deutsches Historisches Museum. Elle se consacre non pas tant au protestantisme qu’à sa figure tutélaire, le pasteur, et montre l’évolution du statut de celui-ci au fil des siècles, partant de la Réforme pour arriver à la période actuelle.

Le rôle des femmes, les rituels, les tenues, les prêches, la musique sont autant de thèmes déclinés sous l’angle du pastorat. Des portraits de familles et de célébrations religieuses ornent les parois d’exposition tandis que des maquettes reproduisent les conditions de vie dans les maisons et villages d’antan. Des images du film Le Ruban Blanc de Michael Haneke tournent en boucle sur un poste de télévision ; le visiteur qui souhaiterait ressentir les ambiances étouffantes, voire mortifères, ayant régnées à une certaine époque – l’Allemagne en 1913 en l’occurrence  – trouvera là de quoi « s’appesantir ». Mais la sombre et parfois terrifiante facette de la figure pastorale n’est que peu dépeinte, et pour cause : l’exposition est montée en coopération avec deux grandes organisations religieuses allemandes, qui n’allaient toute de même pas se livrer de si bon coeur à l’autoflagellation. C’est donc bien davantage sur les valeurs positives incarnées par le pasteur protestant que l’exposition se concentre : le rôle prépondérant du presbytère, le progressisme – lent – qui a permis aux femmes d’accéder à la fonction pastorale (vers la moitié du XXe siècle), le développement de la musique religieuse ou encore l’équilibre familial incarné par une femme bienveillante et des enfants modèles.
La dernière salle, intitulée « Zwei Reiche : Kirche und Staat » (« Deux royaumes : l’Eglise et l’Etat ») prend davantage de risque en s’engageant sur le sujet sensible qu’est la politique. Elle revient sur les hommes – et femmes – d’Eglise qui ont eu le courage de s’opposer à la haine nazie ou communiste au cours du XXe siècle. Et de faire amende honorable, n’oubliant pas de mentionner que nombreux sont les théologiens et fonctionnaires religieux à avoir succombé à une furie idéologique qui a fait sacrément de dégâts. A l’Eglise protestante du Reich (deutsche Reichskirche) et autres sinistres avatars nazis s’opposèrent notamment l’Eglise confessante (bekennende Kirche) et le Pfarrernotbund dans ce que les Allemands appellent aujourd’hui le « combat des Eglises » (Kirchenkampf). Des combats politiques qui ne se sont pas arrêtés à la capitulation allemande puisque nombre de croyants s’insurgèrent ensuite contre la politique du gouvernement de la RDA, hostile à leur égard. Une lutte qui mena à la « révolution pacifique » (friedliche Revolution) de 1989 sur laquelle se conclut l’exposition, qui souligne dans sa partie finale les luttes tout aussi importantes – écologie, éducation, pauvreté – conduites par l’Eglise de nos jours.

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Si le visiteur non-germanique ne saisira pas forcément le sens d’une telle thématique (le pastorat) dans un musée national – une « première » à si grande échelle en Allemagne selon les responsables de l’exposition -, il lui est sans doute important de comprendre que le protestantisme et plus encore l’image de la famille protestante jouit d’un grand crédit en Allemagne et exerce une certaine fascination dans l’imaginaire collectif. Non sans raison, puisque tant le philosophe Friedrich Nietzsche – et pourtant Dieu sait s’il haïssait la religion – que l’actuelle chancelière allemande Angela Merkel sont des Pfarrerskinder, des enfants de pasteur. Mieux : le très apprécié président allemand Joachim Gauck est lui-même pasteur ! Le journal Die Welt s’interrogeait d’ailleurs non sans provocation dans un article sur cette thématique: « Wo wäre Deutschland ohne seine Pfarrerskinder ?« , soit « Où en serait l’Allemagne sans ses enfants de pasteur? »

NDO

Légende photo-vignette : Pastor Otto Clemens van Bijleveld als
evangelischer Hirte
, 1646© Evangelisch‐Lutherse Gemeente Gouda, Niederlande

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