Les parfums des années 1940 étaient beaucoup plus animaux

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Helder Suffenplan, 43 ans, est le fondateur et directeur de Scentury, une plateforme qui raconte des histoires autour du parfum. Lancé en août 2013, le site accueille des photographies et des témoignages d’écrivains, de cinéastes ou de designers de mode, en lien avec l’univers des odeurs et de l’odorat.

« Nous voulons donner un accès  privilégié au parfum. Traduire le langage professionnel de la parfumerie en images et en récits », explique Helder Suffenplan, rencontré à la Soho House de Berlin. Il évoque avec nous les expériences menées autour du cinéma olfactif, les ambitions de son site et les évolutions observées dans l’univers des odeurs…

En avril 2014, le cinéma de la Soho House accueillait une manifestation spéciale, avec la projection d’un film de Michel Gondry et une expérience olfactive novatrice, notamment avec la participation du parfumeur Mark Buxton. Pouvez-vous nous en dire davantage…

L’événement, duquel nous étions le partenaire médiatique, avait pour but de mettre en lien le cinéma et les odeurs. La marque Folie à Plusieurs sous l’impulsion de Kaya Sorhaindo – et le parfumeur Mark Buxton ont été associés autour du film « L’écume des jours » de Michel Gondry. Il s’agissait de créer un parfum, une odeur unique capable de traduire l’esprit du film en odeur.

Et techniquement…

Je ne suis pas expert dans ce domaine, mais les diffuseurs de parfum peuvent être placés n’importe où dans le cinéma ; la question importante est celle du dosage en fonction de la taille de la salle. En l’occurrence, trois points ont été choisis et à trois reprises pendant le film, le parfum a été diffusé. A la fin de la séance, les spectateurs – la soirée était privée et sur invitation – ont reçu un flacon-souvenir contenant le parfum en question.

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L’écume des jours © StudioCanal-Ele Misko © Volker Eichenhofer for SCENTURY

Combiner images et odorat est un vieux rêve de cinéaste. Voir un film et « sentir » les odeurs liés au décor ou aux personnages est une expérience que l’on conçoit facilement. Comment percevez-vous ces essais autour du cinéma olfactif ?

Cela n’est effectivement pas nouveau ; il suffit de se souvenir du développement de l’expérience Smell-O-Rama dans les années 1950. Mais souvent, on essaie de faire correspondre à un moment du film une odeur, ce qui pour moi n’est pas très intéressant. Tout d’abord car les différentes odeurs risquent de se superposer et de se mélanger dans la salle, ce qui est plutôt désagréable pour le spectateur. Ensuite car généralement une image se suffit à elle-même ; on n’a pas besoin de sentir l’odeur d’un bar quand l’acteur y pénètre pour savoir comment cela sent. Et l’idée même d’imposer un parfum à une scène n’est pas forcément une réussite. Notre réflexion suit plutôt le procédé inverse : au lieu de faire naître plusieurs odeurs d’une scène, il s’agit de traduire l’ensemble des scènes en une seule odeur…

Et à titre personnel, de quel film signerez-vous volontiers la « bande olfactive » ?

(après une courte réflexion) Je choisirais « Le Samouraï » avec Alain Delon. J’apprécie l’atmosphère sèche et inhabituelle qui se dégage de ce film…

Revenons-en à la plateforme Scentury, lancée en août 2013. Pourquoi avoir choisi de vous intéresser au monde des odeurs et quelles sont les ambitions de votre site ?

L’idée du site est de raconter des histoires autour des odeurs. On ne se situe à ce titre pas très loin de la madeleine de Proust. Car si bien souvent le vocabulaire technique nous manque pour raconter une expérience olfactive, l’odorat est très présent dans nos vies. On sent les choses sans même le vouloir ; c’est un sens très immédiat, inconscient même. Et directement lié au souvenir. Telle odeur nous rappelle l’Italie au printemps, une autre le parfum que portait notre grand-mère…

On retrouve sur votre site de nombreux témoignages de personnalités. Celles-ci proviennent de manière large toute du domaine de la création, que ce soit à travers l’écriture, le cinéma, la mode. Pourquoi ces choix ?

Il s’agit de faire parler ceux qui ont l’habitude d’utiliser les mots pour faire naître des images. Justement car le langage technique n’est pas forcément compréhensible de tous ; notre but est de le traduire en images et en récits. L’important, c’est que les histoires racontées soient intéressantes.

De manière pratique, comment la prise de contact s’effectue ?

Je contacte simplement des personnes dont je trouve le regard intéressant et leur propose un échantillon-test sur lequel ils pourraient travailler. Parfois, je tombe sur des artistes qui ne portent eux-mêmes pas de parfum, mais cela n’empêche pas la naissance de beaux textes.

Les perceptions autour du parfum varient d’ailleurs énormément selon le point géographique où l’on se situe ou même l’époque…

Effectivement. D’un point de vue géographique, on constate que les Asiatiques portent en règle générale très peu de parfum. Ce qui ne les empêche pas de posséder un parfum chez eux, qu’ils sentiront parfois ou qui occupera une fonction symbolique dans l’espace d’habitation. Les encens et les odeurs de nourriture parcourant l’habitat pendant l’enfance les accompagnent durablement à l’âge adulte, de la même manière que nous nous rappelons l’odeur du parfum porté par notre mère au moment de sortir ou l’après-rasage de notre père…

Et les évolutions dans le temps ?

Nous pouvons par exemple observer que les parfums des années 1940 étaient beaucoup plus animaux et érotiques que les nôtres. Les gens étaient beaucoup plus habillés ; le parfum était donc une manière subtile d’envoyer des signaux sexuels. Dans les années 1980, on note que les parfums féminins étaient très odorants, presque agressifs à une période où la femme devait se faire une place dans un monde professionnel occupé surtout par les hommes. Il s’agissait de s’imposer, montrer qu’elles étaient là. Et puis dans les années 1990, on était plutôt dans l’unisexe, le léger qui convient aux deux sexes. Une tendance qui s’est progressivement atténuée, et aujourd’hui, en 2014, on a quelque chose de plus fort et de plus sombre, qui se rapproche du cuir et du bois. La pilosité des hommes, notamment avec le retour en force de la barbe, est de nouveau acceptée. A voir comment cela va évoluer en termes de parfum, car, c’est sûr, cela va évoluer dans les prochaines années…

Propos recueillis par Nicolas Donner

Photo-vignette : Helder Suffenplan© Holger Homann for SCENTURY

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