L’Opéra de quat’sous

« Sie werden heute abend eine Oper für Bettler sehen »

puis…

« Jahrmarkt in Soho. Die Bettler betteln, die Diebe stehlen, die Huren huren ». C’est par ces mots emprunts d’évidence et de déterminisme social que s’ouvre l’Opéra de quat’sous : Les mendiants mendient, les voleurs volent, les tapineuses tapinent. Et c’est à la vérité un résumé lumineusement synthétique des trois heures de spectacle qui suivent.

Grand classique du répertoire allemand et succès jamais démenti depuis sa première datant de 1928, l’Opéra de quat’sous est le fruit de la collaboration entre Bertholt Brecht (écriture) et Kurt Weill (musique). A ses grands noms de la culture allemande viennent s’ajouter celui de Robert Wilson, qui a produit en 2007 la mise en scène très soignée de cette « comédie en musique ». L’opéra se joue donc aujourd’hui encore dans le lieu qui l’a vu naître il y a plus de 80 ans : le Berliner Ensemble (Theater am Schiffbauerdamm).

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Stefan Kurt und Ensemble © Lesley Leslie-Spinks

Et bonne nouvelle : les années passent mais le charme demeure ! Le spectateur a toujours le même plaisir à voir ces savoureux loubards et filles de mauvaise vie jouer leur existence entre coups de coeur et coups de sang, vraies amours et trahisons. Mackie-le-Surineur est le personnage principal de l’intrigue : il a sa bande de brigands à blousons noirs, un ami fidèle au sein de la police et il s’engage de tous côtés sentimentalement, ce qui lui vaut les foudres de Peachum, son rival et père de Polly, la fille qu’il vient de marier…

Socialement engagé et dénonçant avec une distance résignée et humoristique les travers d’une société qui n’a au fond pas grandement changé, le théâtre de Brecht est égayé par la musique aux accents cabarettistes de Weill – avec de nombreux airs connus, notamment celui-ci. Mais c’est aussi sur le plan visuel que l’ensemble séduit – maquillage, costume et décor – grâce notamment au déploiement très régulier et réussi de formes géomètriques simples – rond, carré, triangle, comme sur une manette Playstation en somme…

A l’image de l’expressionnisme allemand très en vogue dans le cinéma de ses années-là (Murnau, Lang et Pabst notamment, qui en réalisera d’ailleurs l’adaptation cinématographique en 1931), l’accent est souvent posé sur les contrastes entre l’ombre et la lumière. Les acteurs sont excellents – mention spéciale au chef de police et au couple Peachum – pour porter ce théâtre en partie basé sur les expressions faciales et le franc-parler de la rue. Résultat d’ensemble : une réussite en tous points pour cette pièce musicale qui refuse le lyrisme larmoyant pour mieux s’ouvrir à la gaité cabotine de la modicité.

Nicolas Donner

Photo-vignette : Traute Hoess et Jürgen Holtz © Lesley Leslie-Spinks

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