Rendre cette saleté la plus belle possible

Nicolas Donner

« La conscience poétique, autrefois source infinie de joies, est devenue l’inépuisable réservoir d’instruments de torture » écrivait Baudelaire pour expliquer l’éclatante tornade pathologique qu’il importait dans la littérature. « Mains et chairs tordues ; ce qui nous intéresse est sale et coule », déclare quant à lui Sowat, graffeur du collectif français Da Mental Vaporz. « Mais il s’agit de rendre cette saleté la plus belle possible ! » Autre époque mais même procédé d’intentions…

Deux espaces d’exposition à la BC Gallery et une paroi murale de 500 mètres carrés à Warschauer Strasse ! Tel est le butin des graffeurs français de passage à Berlin pour faire découvrir leur travail. « Il y a un panel complet : du réalisme à l’abstrait, de la calligraphie à la figuration ; c’est représentatif de tout ce qui peut se faire avec une bombe aérosol », déclare Sowat pour qualifier l’esthétique de ses pairs graffeurs (Bom.k, Blo, Brusk, Iso, Dran, Kan, Lek, Gris1 et Jaw).

« Ce qui nous relie tous, c’est le travail sur les murs »

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Fresque réalisée par le collectif à l’entrée de la BC Gallery

Au-delà de la grande fresque de Warschauer Strasse réalisée en une poignée de jours, la galerie expose une trentaine d’oeuvres individuelles ou collectives. « On aime bien pratiquer le jeu du cadavre exquis, inventé par les surréalistes : chacun livre un graffiti à tour de rôle sans savoir ce qui précède. » Sowat pioche dans le domaine du football lorsqu’il s’agit de décrire l’émulation présente au sein de ce collectif, créé en 2002 : « On sait le style de jeu de chacun et plus ou moins où il se situe sur le terrain. A travailler ensemble, on dépasse la somme de nos individualités. » Et Blo de rappeler : « On a tous notre propre univers avec nos supports et techniques de prédilection. Mais ce qui nous relie tous, c’est le travail sur les murs » Une affinité que l’on retrouve dans le nom de l’exposition : The Wall.
C’est cette fois-ci à la musique que Sowat emprunte des images afin de souligner avec justesse l’une des apories du street art : « Nos fresques peuvent être ruinées ou abimées à tout moment. Cela m’énerve que l’on me dise : Wahoo, c’est mortel ce que tu fais parce que c’est éphémère ! Non, il y a un moment où tu te dis : ben non, c’est idiot. C’est du travail et c’est perdu. Il n’en existe que des photos alors qu »il y a certaines grandes pièces des « anciens » américains que j’aurais adoré voir. On rate quelque chose si on n’enregistre pas, comme avec la musique. Et dans le graffiti, c’est encore pire puisque non seulement ce n’est pas enregistré mais en plus, c’est comme si tu jouais un morceau et qu’un autre groupe pouvait venir à tout moment jouer un morceau par-dessus ! »

De l’intérêt à entrer dans les galeries…
La solution ? L’institutionnalisation. « Ce n’est pas qu’on va délaisser les murs des villes, car cela nous plaira toujours », expose Sowat. « Mais entrer dans des galeries, c’est une manière d’archiver notre travail et d’assurer sa conservation. Cela ne devient pas dénaturé ou moins fort parce que c’est exposé. Au contraire même ; cela force à se réinventer et à trouver une cohérence. On peut varier les supports, prendre le temps et montrer notre art au grand public. Ce qui pour moi est plus risqué que de s’entourer uniquement du jugement de ses pairs ; il ne s’agit plus de juste mettre deux bombes dans ton sac à dos et de faire ce que tu veux dans la ville. »

Pour découvrir le travail du collectif Da Mental Vaporz (« les vapeurs de l’esprit »), rendez-vous dès aujourd’hui et jusqu’au 31 mai 2014 à la BC Gallery. La grande fresque est à découvrir non loin de là, près de la station de S-Bahn de Warschauer Strasse.

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