Les multiples vies de l’ancien sanatorium de Beelitz

Berlin et ses environs regorgent de lieux abandonnés dont le sanatorium de Beelitz est l’un des incontournables. Fermé depuis une vingtaine d’années, sa situation géographique isolée en pleine forêt au sud de Potsdam, ses immenses bâtiments à l’architecture spécifique formant un complexe de plusieurs pavillons éparpillés sur 200 hectares, mais surtout son histoire riche en anecdotes ont alimenté légendes et rumeurs. Ce qui est propice à attirer les chasseurs de fantômes ou simplement à éveiller la curiosité des explorateurs en herbe. Après plusieurs projets de rachat soldés par des échecs, le bloc D, comprenant le pavillon d’accueil de malades, les bâtiments des cuisines et de la laverie, vient d’être acheté par deux agences immobilières et par un cabinet d’architecte pour être transformé en « village créatif ». Avant le début des travaux, une journée portes ouvertes, organisée le 31 août dernier, offrait la possibilité de (re)découvrir pour la dernière fois ce lieu atypique dans son état d’origine avant ses travaux de transformation. L’occasion pour Vivre à Berlin de revenir sur son histoire.

Construit à la fin du 19è siècle pour faire face à l’épidémie de tuberculose, le sanatorium de Beelitz était à l’époque un modèle de modernité. Notamment grâce à l’aménagement des bains et à un système de chaufferie offrant le renouvellement de l’air par voie souterraine. Son emplacement géographique au sein de la forêt où l’air est plus pur et la grandeur des bâtiments répondaient aux exigences imposées par la maladie évitant la promiscuité entre les malades. En 1905, la capacité d’accueil de Beelitz était de 1 200 patients.

Le complexe hospitalier a été ensuite continuellement agrandi jusqu’aux années 20. Des logements de fonctions, un bâtiment de chirurgie, des infrastructures logistiques telles que des cuisines et laveries, une ferme, une centrale électrique, une boulangerie, une boucherie, un bureau de poste et même une église (détruite pendant la Seconde Guerre mondiale). Au total, une soixantaine de bâtiments forment ce qui s’apparente à un gros village. Cet ensemble est relié à Berlin par une ligne ferroviaire directe, toujours en fonction aujourd’hui même si l’infrastructure de la gare n’est plus exploitée. Lors de la Première Guerre mondiale, le sanatorium est devenu l’un hôpital de la Croix Rouge pour soigner blessés et invalides. Hitler y séjournera deux mois en 1916. Après la Seconde Guerre mondiale, les Russes en firent un hôpital militaire jusqu’à sa fermeture en 1995. Le bloc B est encore aujourd’hui utilisé comme centre neurologique.

La question de la réhabilitation de l’ensemble des blocs A, C et D du complexe est récurrente depuis plusieurs années. Son architecture luxueuse et atypique attire nombre de professionnels et l’ancien sanatorium est régulièrement plébiscité pour des shooting photos ou des tournages (une partie du film Le Pianiste de Roman Polanski y a été tourné). C’est également le lieu de plusieurs faits divers, accidents et meurtres venus étayer sa légende ; cet aspect fantastique renforçant l’attirance pour le site. Pourtant malgré ces succès artistiques et touristiques, les bâtiments n’ont cessé de se détériorer au fil des années, certains étant aujourd’hui totalement en ruines.

sanatorium-beelitz

Durant la journée portes ouvertes, le bloc D avait pris des airs de fête foraine et c’est avec un certain sentiment d’étrangeté que nous avons parcouru les longs couloirs délabrés, soudainement envahis de hipsters et de promeneurs endimanchés. L’ancienne salle principale des cuisines s’était transformée en semblant de plage, sans sable mais avec transats, musique électro, bar et stand de sandwichs. L’extérieur du bâtiment accueillait également des stands de restauration et partout les gens faisaient la queue, dénaturant le coté authentique de ce qui était, encore quelques heures auparavant, un lieu abandonné.

Le projet même de réaménagement prévoit la création de 50 studios d’artistes de 48 m2 à 240 m2. Mais aussi une salle commune, des jardins et des aires de jeux pour enfants, pour un prix de vente autour de 2 000€/m2. Entièrement privatisé, sans organisme de gestion prévoyant par exemple l’accueil d’artistes en résidence ou l’organisation d’expositions, ce qui devrait être un « village créatif » nous a cependant laissés dubitatifs.

À qui s’adresse ce projet ? Des visiteurs pourront-ils avoir accès à ce « village » ? La nouvelle vie de l’ancien sanatorium de Beelitz ne fait que relancer le débat sur la restauration de ces lieux chargés d’histoire ainsi que sur les moyens disponibles pour leur réexploitation, nombre de solutions actuelles se voulant luxueuses et privatives.
Sophie Galibert (Texte et photos)

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