Les extensions de la lutte artistique depuis 1968

Il est des passages littéraires qui vous reviennent en tête, comme ça, lorsque l’occasion s’y prête. Cette occasion, c’est la découverte de la nouvelle exposition Ausweitung der Kampfzone à la Neue Nationalgalerie de Berlin. Le passage littéraire en question, bien connu des lecteurs du Rouge et le Noir de Stendhal : « Un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l’azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. Et l’homme qui porte le miroir dans sa hotte sera par vous accusé d’être immoral ! Son miroir montre la fange, et vous accusez le miroir ! Accusez bien plutôt le grand chemin où est le bourbier, et plus encore l’inspecteur des routes qui laisse l’eau croupir et le bourbier se former. »

Autant dire que les artistes de l’exposition de la Neue Nationalgalerie montrent davantage la fange des bourbiers que l’azur des cieux. Troisième et dernier volet consacré aux oeuvres du XXe siècle, il se concentre sur la période allant de 1968 à 2000 avec une volonté marquée de provoquer la discussion. « L’exposition est davantage le récit d’une histoire sociale qu’une déclinaison des différents courants esthétiques de cette période », déclare Udo Kittelmann, directeur de la Nationalgalerie. L’exposition emprunte d’ailleurs son titre au roman de l’écrivain français Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, un  regard littéraire désabusé sur une société où l’esprit néolibéral infiltre toutes les strates humaines allant jusqu’à se glisser dans les lits (la sexualité n’est dès lors plus perçue comme l’échange de plaisirs mais davantage comme une performance à consommer).

Pas étonnant sous pareille « tutelle » qu’une bonne dose de violence – libératoire souvent – se dégage des différentes oeuvres exposées. Andy Warhol et Wolfgang Tillmans s’interrogent dans la salle « Soldaten » sur le paradoxe entre l’abondance d’images de soldats dans les médias et un monde occidental qui n’a – officiellement du moins – jamais autant goûté à la paix. Dans les autres salles, c’est le geste artistique, la répression étatique, les chamboulements urbains, les évolutions techniques, les mouvements punk et écologiste ou encore la libération sexuelle qui sont évoqués à travers des oeuvres qui interpellent pour la plupart, tandis que d’autres ne dépassent parfois pas le stade de la « plus ou moins bonne idée ».

Les travaux d’Edward Kienholz (fascination pour les appareils radiophoniques), David Lamelas (vues de Berlin), Pipilotti Rist (vidéo d’une femme révoltée) et Jeff Wall (photographie glaçante d’un insomniaque) traduisent relativement bien l’urgence à témoigner d’une colère, d’une solitude, d’une précarité sociale où les accusés se confondent, qu’ils soient systèmes (communisme, capitalisme) ou flétrissures d’hommes (avarice, égoïsme, peur, conformisme).

Absorbé ou détaché, le visiteur curieux goûtera à n’en pas douter de contempler dans cette exposition-miroir – ou plutôt rétroviseur – le panorama artistique tantôt sombre tantôt amusé des quelque trente années qui séparent Mai 68 de l’an 2000.

NDO

Légendes et crédits photos :

Bruce Nauman Double Poke in the Eye II, 1985 Staatliche Museen zu Berlin, Nationalgalerie, Friedrich Christian Flick Collection © VG Bild-Kunst, Bonn 2013 Foto: Stefan Altenburger, Zürich

Andreas Gursky Singapore Stock Exchange I, 1997 Staatliche Museen zu Berlin, Nationalgalerie, Schenkung Dr. Erich Marx © VG Bild-Kunst, Bonn 2013 Foto: Andreas Gursky

Andy Warhol Camouflage, 1986 Staatliche Museen zu Berlin, Nationalgalerie, Sammlung Marx © Artists Rights Society (ARS), New York Foto: Jochen Littkemann

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