Au secours, mon enfant mélange l’allemand et le français !

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« Les parents qui sont confrontés à des problèmes liés au bilinguisme chez leurs enfants ont besoin d’avoir une explication objective. Ils sont persuadés qu’il existe des pathologies. Souvent, je les envoie chez un psychologue. C’est très important car les problèmes du bilinguisme sont le plus souvent liés à des problèmes identitaires. »
© Eugene Kim sur Flickr/ CC BY 2.0

Amélie Rouche est l’une des seules orthophonistes françaises de Berlin. Rencontrer des parents inquiets des difficultés développées par leurs enfants dans le cadre d’un apprentissage bilingue fait partie de son quotidien. Que ce soit un retard de langage, du stress ou un mélange entre les deux langues, les inquiétudes des parents peuvent être multiples. À Berlin, les familles dans lesquelles les enfants sont bilingues proviennent de différents modèles allant de la famille franco-allemande à la famille française, où la langue allemande est absente du domicile, en passant par la famille allemande, qui ne parle pas français mais qui souhaite que les enfants l’apprennent
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Dans chacun des cas, « la plupart des parents ont un bon instinct » quant à l’apprentissage d’une deuxième langue, explique Amélie Rouche. Mais pour certains, une réelle pression peut être exercée sur l’enfant avec, pour principale conséquence, le développement d’un blocage à parler une deuxième langue, voire un véritable mutisme. Souvent désarmés pour faire face à ces difficultés, les parents consultent alors des professionnels de la santé dans l’espoir de trouver une solution au problème.

Des pathologies du bilinguisme ?

Pourtant, les orthophonistes sont unanimes : il n’y a pas de pathologies liées directement au bilinguisme. « S’il y a pathologie, alors c’est multifactoriel », prévient Patricia Neike, une ancienne orthophoniste française de Berlin. Un constat que confirme également Amélie Rouche, pour qui les problèmes du bilinguisme sont plutôt des problèmes psychologiques ou identitaires.

Quid du mélange entre les deux langues ? « Souvent, une langue domine l’autre », affirme Patricia Neike pour expliquer cette tendance à passer de l’allemand au français dans une même phrase. « Mais les deux langues vont finir par s’équilibrer, comme des vases communiquants », ajoute-t-elle. Sophie Bocquelet , maîtresse en section française à l’Europa-Schule Judith-Kerr, relativise également cette inquiétude : « Mélanger les langues n’est pas grave. Nous avons tous des mots qui nous viennent plus facilement dans une langue que dans l’autre. Mais il faut rester attentifs car si l’enfant n’arrive plus à se faire comprendre, alors cela peut être une difficulté ».

Christine Goyer, une maman qui a scolarisé son fils à l’école Voltaire de Berlin, se veut elle aussi rassurante : « Les tout-petits se mettent parfois à parler plus tard ou mélangent les langues. Mais les choses se remettent rapidement en place plus tard. »

Aucune méthode miracle si ce n’est nourrir la langue

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© barockschloss sur FlickR/CC BY-SA 2.0 DE-© Alasdair Nicol on FlickR / CC BY-NC 2.0 / remixed_by_VivreABerlin-© DALIBRI/ Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0 DE 

Le plus important dans l’apprentissage d’une langue est finalement le plaisir que l’on peut en tirer. « Dans l’apprentissage d’une langue, il n’y a pas de méthode miracle. Il faut que cela plaise à l’enfant », insiste Patricia Neike. « Apprendre une langue s’entretient, d’où l’importance des échanges avec le pays voisin, d’avoir des amis qui parlent la langue que l’on apprend. La langue doit être un tout, et cela passe aussi par les livres et la gastronomie par exemple », ajoute-t-elle, soulignant que le côté psychologique est aussi un aspect très important, l’enfant devant être fier de parler plusieurs langues. « En d’autres termes, il faut nourrir le bilinguisme », continue-t-elle. Un élément qu’a compris Christine Goyer au fil de ses expériences : « On ne peut pas s’en tenir à ce que l’on apprend à l’école. Il faut aussi apprendre la langue dans un contexte hors classe, à travers des activités sportives et culturelles notamment. Il faut éprouver du plaisir à parler une langue. »

Être bilingue : une ouverture sur le monde ?

« Il n’y a aucun inconvénient à être bilingue, cela n’amène aucune difficulté. Au contraire, cela apporte un enrichissement supplémentaire, permet de s’intégrer plus facilement, de profiter d’une autre culture et donne des possibilités d’études et d’emploi plus vastes. » Comme Christine Goyer, nombreuses sont les personnes à penser que le bilinguisme est une véritable fenêtre ouverte sur le monde. Pour  Sophie Bocquelet aussi les effets positifs du bilinguisme sont nombreux : « Il permet une plus grande confiance en soi-même et en l’autre, et les enfants sont généralement plus réceptifs et curieux ». Et Patricia Neike de renchérir : « Le bilinguisme est une chance extraordinaire. Il apporte une véritable richesse. Les bilingues sont généralement plus tolérants, plus ouverts car ils n’ont pas qu’un seul mode de fonctionnement. »

Un constat que ne partage pas Amélie Rouche. « Ces comportements sont davantage liés à l’éducation qu’au bilinguisme. Être bilingue ne signifie pas forcément avoir une plus grande ouverture d’esprit. Il est difficile d’attribuer au bilinguisme des qualités humaines. »

Le bilinguisme : un facteur de risques

Pour Amélie Rouche, il y a, certes, des « côtés fantastiques au bilinguisme mais c’est aussi risqué ». Ce risque existe notamment dans les pathologies qui lui sont indirectement liées. « Un enfant peut avoir, par exemple, une tendance à la dyslexie, qui ne se verrait pas s’il n’utilisait qu’une seule langue, disons l’allemand, mais qui peut être remarquée en introduisant une deuxième langue comme le français. Lorsque l’on parle deux langues, il y a moins de stimulations dans chacune des langues. La conséquence est qu’une pathologie du langage, qui existait déjà, puisse se développer plus vite. En d’autres termes, le bilinguisme travaille à ce que certains troubles du langage, qui ne sont pas visibles, le deviennent à cause du manque de stimulation. » Même constat en ce qui concerne le retard de langage. Si une personne en souffre, cela se verra davantage lorsqu’elle deviendra bilingue « Mais si le retard d’acquisition équivaut à deux années, alors effectivement, c’est pathologique », met en garde Amélie Rouche.

L’apprentissage d’une deuxième langue dans le but de devenir bilingue introduit donc un risque. À partir de ce constat, Amélie Rouche prévient : « Il ne faut pas se voiler la face si ça ne marche pas. L’important est d’essayer d’être le plus honnête possible. Si le bilinguisme pose problème, il faut accepter cette situation, quitte à se demander s’il n’est pas mieux d’y renoncer. Les gens ont souvent du mal à abandonner une langue car ils perçoivent cela comme un échec. Mais il faut toujours se demander ce qui est le plus important et ce qui est le mieux pour l’enfant car on ne peut pas jouer avec lui comme ça. »

Astrid Ribois-Verlinde

1 Commentaire
  • Richard Schaller-Schwartz

    Pour les enfants bilingues, je conseille les merveilleux albums des éditions Bernest (Autriche), en particulier « Miriam Misch-Mafu » où l’on change de langue à chaque page, parfois dans la même phrase !

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