Halte aux fausses idées sur le bilinguisme

Le bilinguisme n’a pas toujours eu le vent en poupe à Berlin, notamment entre le français et l’allemand. Des experts du langage reviennent sur cette évolution ainsi que sur les caractéristiques propres aux langues de Molière et de Goethe. Ils livrent également quelques conseils aux parents.

Le bilinguisme à Berlin n’a pas toujours été chic

Orthophoniste dans le secteur français de Berlin pendant la Guerre Froide, Patricia Neike raconte l’histoire mouvementée du bilinguisme à Berlin ces quarante dernières années :

« Dans les années 1970, le bilinguisme n’était pas très bien vu. Il n’y avait d’ailleurs aucune école bilingue à Berlin. Cela a commencé à se développer avec l’anglais grâce à la Kennedy-Schule. Mais de manière générale, le bilinguisme a été très tardif, il n’était pas du tout répandu. Pour les Français, les Allemands, c’étaient les femmes de ménage ou les chauffeurs ! A l’école militaire française de Berlin, il était interdit de parler allemand. Mais cette situation a fini par changer, notamment parce qu’il y a eu pas mal de couples franco-allemands. Mais c’est surtout sous l’action de De Gaulle et Adenauer que la situation a évoluée. Avec ce changement, de nombreuses écoles européennes puis franco-allemandes se sont développées. Puis à la fin de l’occupation, il y a eu beaucoup plus d’ouverture. C’est devenu chic d’être bilingue à Berlin, à tel point qu’il y a aujourd’hui 32 écoles européennes. »

Les spécificités du bilinguisme franco-allemand

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Pour les experts du langage, il n’y a pas un bilinguisme mais plusieurs. Et le cas du bilinguisme franco-allemand est un cas tout à fait particulier. « Le français et l’allemand sont deux langues très différentes sur plusieurs niveaux : dans leur structure syntaxique, leur vocabulaire et leur accent tonique. L’avantage est que ce sont des langues qui sont plus faciles à distinguer. Mais le problème est que, lors de l’apprentissage des deux langues, la mise en place de ces deux systèmes différents prend plus de temps. Ce qui est facile en allemand, c’est sa transparence : l’écrit correspond à l’oral. Au contraire, le français est l’une des langues les moins transparentes. Non seulement on ne prononce pas tout ce qui s’écrit, mais les nombreuses exceptions le rendent encore plus difficile », explique Amélie Rouche. Généralement, les Français auront plus de difficultés en allemand dans la construction des phrases, notamment la position correcte des compléments. De leur côté, les Allemands auront davantage tendance à rencontrer des difficultés à l’oral qu’à l’écrit et à assourdir les consonnes sonores comme « b », « d », « g » et « t ».

Bilinguisme : conseils d’experts

Vous vivez dans un environnement bilingue à la maison ou en dehors du domicile ? Les experts s’accordent à dire qu’il n’existe pas de solution miracle. Mais voici quelques conseils pour un meilleur apprentissage.

– Le plaisir est essentiel à l’apprentissage d’une langue. Pour que celui-ci soit efficace, il faut multiplier les stimulations. L’acquisition d’une nouvelle langue ne doit pas rester limitée à un contexte de salle de classe. Au contraire : variez les plaisirs ! Sorties culturelles, sport, cuisine, voyage… Berlin est une ville internationale et cosmopolite, les choix ne manquent pas !

– Si papa est germanophone et maman est francophone, respectez les référents. « Ce n’est pas ce que je préconise absolument, mais j’ai remarqué que ça marchait mieux de cette façon », justifie Amélie Rouche, soulignant qu’il est important pour un parent de pouvoir parler dans sa langue maternelle à son enfant. Si une langue est associée à une personne, « cela va permettre à l’enfant d’apprendre à mieux différencier les langues. Au contraire, s’il y a un mélange, les enfants pourront être incapables de bien les séparer ».

–  Stop à la pression sur les enfants ! A trop vouloir que son enfant soit bilingue, on peut développer chez lui du stress à s’exprimer dans une langue. Si l’enfant a déjà des difficultés entre deux langues, inutile d’insister pour qu’il en apprenne une troisième. Si le bilinguisme pose vraiment problème à votre enfant, il est nécessaire d’accepter d’y renoncer.

Halte aux fausses idées sur le bilinguisme

« Les bébés qui grandissent dans un environnement bilingues parlent plus tardivement »

Faux : les étapes du langage sont les mêmes chez les enfants bilingues et unilingues. « Les bébés ne développent pas forcément le langage plus tard », assure Patricia Neike. « Avant trois ans, les enfants sont capables de faire des phrases simples. Chez les enfants bilingues, cela peut éventuellement prendre un peu plus de temps », complète Amélie Rouche.

« Les bilingues ont moins de vocabulaires que les personnes unilingues »

Plutôt vrai. « Cela ne se vérifie pas tout le temps. En général, il y a environ six mois de retard dans les deux langues jusqu’à 17-18 ans. S’il y a un retard, il concerne le vocabulaire, la construction de la phrase, l’écrit et la vitesse de lecture », explique Amélie Rouche. Mais le retard de langage n’est pas spécifiquement lié au bilinguisme. Il est déjà présent chez l’enfant et se développe plus visiblement à cause du bilinguisme.

« Il est plus facile pour un bilingue d’apprendre d’autres langues que pour une personne unilingue d’apprendre plusieurs langues »

Vrai et faux. « Sur ce point, de nombreuses études se contredisent. Mais je considère que l’apprentissage d’une langue supplémentaire n’est pas plus facile pour le bilingue que pour l’unilingue. Le bilinguisme n’est pas un avantage dans ce domaine car la plasticité cérébrale n’est plus en jeu », commente Amélie Rouche.

Astrid Ribois-Verlinde

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