Avec cette ville, on a le sentiment de se rapprocher d’une Allemagne qu’on aime

Retour prochain en Asie pour Maurice Gourdault-Montagne, qui a été nommé à Pékin par le patron du Quai d’Orsay en juin 2014. Il sera remplacé dans les prochaines semaines par Philippe Étienne, normalien, énarque et agrégé de mathématiques aujourd’hui en poste à Bruxelles. 

On ne s’attend pas vraiment à ce que l’ambassadeur de France en Allemagne cite une enseigne à saucisses bio et à bières lorsqu’on le questionne sur les restaurants abordables qu’il fréquente volontiers à Berlin – « Das Meisterstück » pour les curieux. Ni qu’il évoque la route partant vers Köpenick depuis le pont de Treptow comme le lieu marquant de la capitale, « car on y lit tous les traumatismes mais aussi toutes les richesses de la ville ». Mais on ne peut que se réjouir d’avoir en la personne de Maurice Gourdault-Montagne un prestigieux interlocuteur capable dapprécier Berlin dans tous ses éclairs de beauté simple et quotidienne, tout en disposant évidemment d’un impressionnant bagage intellectuel et historique pour donner à tout moment de l’épaisseur et de la hauteur à la discussion. Extraits choisis de notre rencontre avec l’ambassadeur de France à Berlin.

Sur la ville et son attrait


« Pour les vieilles générations, Berlin, c’est la place de la confrontation, des idéologies, de l’Est et de l’Ouest. Une ville-symbole à l’intérêt historique évident. J’observe que ce qui fascine par contre beaucoup les jeunes générations, c’est le sentiment de liberté et d’espace. Berlin est une ville inachevée, fortement marquée par l’histoire, mais qui reste inachevée ; on a l’impression que tout est possible, non-établi. Et elle ne « finira » sans doute pas, car il n’y a pas d’arrière-pays. On ne s’établit pas ici ; on passe. Avec cette ville, on a le sentiment de se rapprocher d’une Allemagne qu’on aime. C’est aussi une ville de projection de ce qu’est un modèle démocratique, ce qui rejaillit sur l’ensemble de l’Europe vue sa situation géographique »
, dit-il.

Impossible toutefois pour lui de nier la précarité ambiante. « Les entreprises viennent et vont. Il n’y a pas de paysage industriel, pas d’argent. C’est une ville attirante, mais somme toute précaire. » Le nombre de Français enregistrés s’élève à 10 000, « mais il faudrait sans doute doubler ce chiffre pour avoir le nombre réel de Français vivant ici ».

« Quand je suis à Erfurt ou à Weimar, je suis dans une Allemagne mythique »

allemagne-aimeLa cathédrale Sainte Marie et l’église Saint Séverin à Erfurt.

Entre 1981 et 1983, Maurice Gourdault-Montagne est en poste en Inde en tant que premier secrétaire à l’ambassade de France de New Delhi où il consolide sa connaissance de l’hindi et de l’ourdou. Ambassadeur de France au Japon de 1998 à 2002 et à Londres de 2007 à 2011, il est aussi le conseiller diplomatique de Jacques Chirac de 2002 à 2007. Spécialiste de l’Allemagne, il est en poste dans la partie ouest du pays à Bonn de 1988 à 1991 et vit à cette occasion de près une période cruciale de l’histoire allemande. « A la Réunification, c’était une retrouvaille avec une Allemagne traditionnelle que l’on avait un peu perdu de vue. Quand je suis à Erfurt, quand je suis à Weimar, à Leipzig ou Wittemberg, je suis dans une Allemagne mythique. On a retrouvé une Allemagne mythique, celle des penseurs, de la Réforme et de l’Aufklärung, une nation extrêmement culturelle et cultivée. »

« Il n’y a pas d’automobiles allemandes qui entrent dans la catégorie « premium » sans pneus Michelin ! »
L’ambassadeur ne tarit pas d’éloges sur ce pays avec lequel la France partage depuis longtemps des affinités culturelles, spirituelles, politiques, qui remontent à l’époque des Lumières. « Nous nous sommes inspirés les uns les autres, combattant pour les mêmes valeurs et idéaux. Avant que le nationalisme ne vienne nous diviser… », pose-t-il. Concernant les nouvelles voies de collaboration entre les deux pays, il cite le dossier énergétique où la divergence d’avis sur le nucléaire n’empêche pas une réflexion commune, les réseaux intelligents, les marchés de capacité et le digital, où il estime la France en avance.

Mais il n’est pas question pour lui de compétition, mais bien de compétitivité. « Est-ce qu’on doit raisonner sur un produit industriel en terme national ? Ma réponse est non. Une voiture allemande, c’est par exemple 60% de savoir-faire allemand, mais 40% de pièces détachées françaises. Plus extraordinaire : il n’y a pas d’automobiles allemandes qui entrent dans la catégorie « premium » sans pneus Michelin ! »

Les hymnes nationaux, Marbach et Dessau…
S’il est abordé, le thème de la Maison de France est évacué sans polémique par le constat suivant : « Non nous n’avons pas sous-estimé l’attachement populaire à ce bâtiment sur le Ku’Damm, oui nous avons des contraintes budgétaires qui nous obligent à réfléchir à comment occuper au mieux notre patrimoine immobilier », résume Maurice Gourdault-Montagne.

Et quels sont donc les moments les plus marquants vécus par l’ambassadeur en Allemagne depuis sa prise de fonction en mars 2011 ? Il en distingue trois, de nature bien différente. « Le plus solennel, c’était le 22 janvier 2013 à l’occasion des 50 ans du traité de l’Elysée. Un moment vertigineux ! Les gouvernements et parlements des deux pays au complet réunis sous la coupole du Reichstag. Et l’on a joué les deux hymnes nationaux. Toutes les personnes présentes étaient saisies ; c’était fantastique d’en être arrivés là alors que nos parents et grands-parents pensaient sans doute cela impossible. »

Et puis des moments plus intimes, qui font vibrer d’autres cordes. « Je me souviens très bien d’une exposition liant guerre et littérature à Marbach, dans le Bade-Wurtemberg. Et il y a bien sûr les instants passés à Dessau. C’est une ville phare de l’intellectualité allemande, marquée notamment par le compositeur Kurt Weill et le philosophe Moses Mendelssohn. » Avant de conclure plein d’un enthousiasme sincère dans la voix : « C’est un pays formidable l’Allemagne ! Le Français qui a accès à ce pays a une chance extraordinaire. Il y a de grands moments intellectuels à vivre, des gens passionnants. C’est très enrichissant, on s’explique les uns et les autres en miroir. Non vraiment, l’Allemagne est une stimulation permanente… surtout si on parle allemand ! »

Nicolas Donner (avec la collaboration d’Anne-Sophie Coulon)

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