Entretien avec Carmen, la créatrice de Ishhh

© Ishhh

Nous avons rencontré la fondatrice de la marque Ishhh pour quelle nous raconte comment elle s’est mise à créer de jolies robes en tissus indiens en plein Berlin.

1/ Peux tu nous raconter un peu ton  background et l’origine du projet de robes Ishhh ?

Je viens de Normandie et j’ai vécu et travaillé pendant environ 8 ans sur Paris, principalement dans des agences de communication en tant que Chef de projet.

Il y a 3 ans j’ai fait un voyage en Inde du sud avec des amis dans le Kérala et le Tamil Nadu, et je suis tombée raide dingue des couleurs du pays en général, mais des tissus plus spécifiquement. J’étais assez bouche bée devant l’élégance des femmes en sari, unis ou dégradés, avec motifs, broderies, galons et/ou fioritures qui contrastent parfois avec des rues pleines de poussière ou de détritus. On pourrait croire à une redondance mais pas du tout il y a tellement de variétés de tissus, mais aussi de façon de le porter selon les régions.  

Après une journée épuisante à Madurai j’ai trouvé un somptueux sari et je me suis faite faire un modèle sur-mesure de robe par un couturier du Kérala.

Quand je suis revenue en France j’ai bien attendu 2 ans avant de la sortir de l’armoire pour un mariage d’amis, et la mariée tout en faisant les louanges de la robe, me suggérant d’en créer, a commencé à me mettre la puce à l’oreille… Issh allant naître.

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2/ Et le  lancement du projet alors ?

En rentrant sur Berlin, j’ai réfléchi (vite fait) et j’ai posté une annonce à la recherche d’un modéliste sur Craiglist. J’ai rencontré Loïc, qui était non seulement le seul à m’avoir répondu, mais était aussi par hasard : à Berlin depuis seulement 1 semaine, français, Styliste et Modéliste, super talentueux et en plus vachement sympa ! On s’est rencontré fin de l’année dernière, il m’a accompagné de ses conseils et surtout a cousu les robes avec une minutie de fou.  Je suis partie chercher les tissus à Londres, je n’avais plus de temps pour repartir en Inde, et plus assez de congés (je travaille en effet à plein temps et développe ISHHH à côté).


À Londres, ou plutôt à Southall à proximité, où il y a une forte communauté indienne et importateurs de tissus, deux rues principales remplies de boutiques et de variétés de tissus, à mon avis 1% de ce qui se fait en Inde. Mais c’était quand même sacrément sport car on les a toutes faites, pour être sûrs de ne rien rater. Mon ami a fait un formidable assistant et que j’ai récompensé par un Byriani et des chapatis.

Les 2 autres rencontres qui ont permi de concrétiser le projet ont été avec Marion Mazô, qui est créatrice de bijoux sur Berlin et qui m’a accueilli avec les autres designers dans la boutique Dunkelblaufastschwartz, Rykerstr. 16 à Prenzlauer Berg. À la base Marion a une formation de maquilleuse coiffeuse cinéma et mode, et avait accepté de m’aider en assurant le maquillage sur le shooting en échange de quelques close-up de ses bijoux.

Et il y aussi Adèle, qui est le modèle du shooting. Dès la première rencontre, j’espérais vraiment qu’elle soit partante, parce qu’en plus d’être jolie, sympa et enthousiasmée par le projet, elle dégageait vraiment une aura. Quelque chose de pas trop définissable mais un mix de coolitude, de fraîcheur et de spontanéité. C’est complètement ce que je recherchais et ce qui est ressorti sur les photos.

Après j’ai fait appel à mes habitudes de chef de projet dans la communication pour réunir et coordonner les dernières compétences nécessaires. J’ai fait venir de Toulouse ma pote Directrice artistique Julia, pour prendre les photos et réaliser le logo. Je voulais que soit elle et personne d’autre. On se comprend bien en tant qu’ancien binôme en agence, elle a une vraie sensibilité artistique dont je suis fan et puis surtout je savais qu’on allait se marrer et “travailler” avec plaisir. Enfin je n’ai pas eu trop de mal à m’accorder les faveurs de mon ami développeur qui a utilisé ces belles images pour mettre en ligne une page vitrine.

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3/ Pourquoi  penses tu que c’est plus facile à Berlin ?

Parce qu’à Paris je n’aurais jamais osé je crois. C’est soit le fait de partir qui t’amène à faire le point et réfléchir sur ce que tu as envie de réaliser. Soit qu’à Paris tu as l’impression que tout est déjà fait ou qu’il te faut un paquet d’argent ou de “contacts” pour te lancer. Tu te dis que si tu n’a pas Rihanna en égérie et que tu ne vas pas à la fashion week tu n’as pas ta “place” dans la mode.

Berlin se développe différemment de Paris. Il semble qu’il y ait encore des choses à faire, comme si l’espace était moins saturé en terme de créativité. J’ai le sentiment qu’on se sent aussi un peu plus libre et moins jugé, on peut tenter des petites choses qui rendent heureux sans forcément viser “la grosse success story”.

J’ai aussi l’impression que la “consommation responsable” et la tendance à acheter des produits faits-main, réalisés en local, par de petits designer, hashtagués slow-fashion a plus de résonnance ici… 

Mais je veux pas trop cracher sur Paris ou la France parce que je regarde ce projet tout est une histoire d’amour et d’amitié comme le chantait si bien Céline Dion, et pas mal de français en font partie 🙂

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3/ Quels sont les thèmes et tes inspirations pour cette collection ?

J’adore les objets auxquels on attribue une valeur traditionnelle, mystique ou spirituelle. Les totems, les gris-gris, amulettes, les bondieuseries. Ça va de paire je trouve avec les collections, ce côté fétichiste, maniaque et/ou obsessionnel.  Pendant un moment je cherchais des petites vierges en plâtre et je les détournais en les peignant à l’acrylique fluo, aux couleurs du Brésil avec des plumes, dans un esprit un peu pop quoi.

Ça n’a rien à voir avec mes robes mais il y a une similitude dans le processus de recherche un peu maniaque et acharné des plus beaux tissus avec les plus beaux motifs ou broderies.

Aussi dans l’envie de détourner et mixer cet habit traditionnel avec un tissu plus classique, une coupe plus “moderne” et de faire un “twist” avec un style plus urbain.

C’est aussi un peu un mix de cultures. En Inde, j’adore ce côté très paradoxal d’avoir du bling-bling sur les palais aux ornements et couleurs très vives, les rangées de bracelets qui “gling” aux poignets et les clochettes dorées aux chevilles. Les babioles à franges, dorées et colorées avec l’image d’une divinité. Ce côté super ornementé et chargé est en totale opposition avec le côté minimaliste et sobre de Berlin par exemple, mais une touche des deux,  j’ai l’impression que ça marche bien, ou en tout cas c’est le mix que j’aime.

Sinon ISHHH, le nom de la marque, n’a rien à voir avec le “Ich” allemand, c’est en effet une sorte d’onomatopée, d’expression en Inde. Utilisé majoritairement par des femmes, quand elles se cognent ou qu’on les pince par exemple, le concept est un peu dur à expliquer, c’est culturel. Repris pas mal dans les bollywood, il a un petit coté coquin et espiègle voir un peu sexy selon moi. Je crois (mais je ne suis pas sûre) qu’il n’est plus tant que ça utilisé de nos jours sauf peut-être dans quelques régions.

Prochaine micro collection au Printemps/été prochain et d’ici là vous pouvez trouver des robes dans la boutique de Prenzlauer Berg : Dunkelblaufastschwartz (Graefestraße 7, 10967 Berlin)

Propos recueillis par Margaux Friocourt

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