C’est bien connu, les Allemands aiment la chanson française. Dans celle de Christophe Bourdoiseau, ils ont trouvé une voix chaleureuse qui voyage avec poésie entre Paris et Berlin. Portrait d’un Berlinois d’adoption, témoin de la réunification et musicien attachant.
Journaliste de formation, Christophe Bourdoiseau a trouvé à Berlin la bohème qu’il recherchait à Paris. Bercé dans sa jeunesse par Brel, Barbara, et surtout Brassens, l’auteur-compositeur-interprète a séduit le public allemand et sillonne l’Allemagne, accompagné de trois musiciens d’Europe de l’Est formant le célèbre Trio Scho.
Né à Rotterdam d’une mère allemande et d’un père français, Christophe Bourdoiseau a huit ans lorsque sa famille s’installe en France, à Ville-d’Avray. Il associe très vite l’école à un traumatisme : « Je n’y ai appris que la discipline, l’injustice, le racisme et la bêtise de la hiérarchie« . Vers l’âge de 12 ans, il trouve refuge dans les chansons de Brassens. « Brassens était la seule personne dans mon entourage qui me racontait des histoires vraies. Je ne comprenais rien au catéchisme, mais je comprenais ses textes« .
Après des études de journalisme « avec Jean-Pierre Pernaut pour professeur« , il veut se confronter à l’Histoire et entame un voyage ambitieux vers la Chine. « J’ai commencé à découvrir qu’il y avait d’autres choses dans le monde que Paris et son conformisme« , affirme-t-il.
L’au revoir à Paris
Le tournant date de 1994. C’est dans la capitale allemande que ce jeune casanier, alors âgé de 25 ans, décide de s’installer. « Quelque part, c’était un Abschied, un au revoir qui allait se prolonger. Je suis revenu un an pour gagner un peu d’argent, mais c’était pour repartir« . À Prenzlauer Berg, l’ancien banlieusard de l’Ouest parisien jouit d’une liberté totale au milieu d’un chaos sans foi ni loi : « C’était gris, mais vivant et plein d’espoir. On ne faisait pas la queue, il n’y avait pas de clé aux portes d’immeubles, pas de parcmètre ni de publicité« . Le jeune journaliste dépense son argent mis de côté pour suivre des cours d’allemand, la « langue des bourreaux » que sa mère n’avait pas souhaité lui transmettre. Toujours accompagné de sa guitare, ses reprises de Brassens plaisent. Sa carrière de chanteur est lancée.
Depuis, Christophe Bourdoiseau a sorti trois albums. De « Elle était si jolie » à « Mon beau pays« , en passant par « Laila« , ses textes font mouche, mêlant réflexion, humour, mélancolie et rêverie. Son style, il l’a tissé avec son vécu, au contact des petits cafés berlinois, brassant sa culture française – celle des mots. Rythmées par les airs slaves du Trio Scho, ses chansons s’inspirent de Berlin, de Paris, de rencontres passées, et racontent avec sensibilité l’hier et l’aujourd’hui.
L’artiste en sait long sur cette Allemagne chargée d’histoire. Dans son livre « Allemagne : la mémoire libérée« , récit de voyage qui vient décoder l’âme du peuple allemand et tordre le cou aux clichés, il raconte les petits riens et les grandes blessures de son pays d’adoption. « Nous ne sommes plus en 1933. Pendant les 15 dernières années, l’Allemagne a beaucoup travaillé sur la mémoire et l’histoire, elle a cherché à détruire tous les mythes de son passé. Sans vérité, il n’y a pas de réconciliation possible« . De cette libération de la mémoire, la France pourrait grandement s’inspirer. « Il faut commencer par le commencement« , ajoute-il avec conviction. Ouvrir les archives et dire enfin la vérité sur la guerre d’Algérie et la colonisation viendraient pallier l’inertie de la France face à ses banlieues, que le chanteur dénonce d’ailleurs dans son deuxième album « Constellation périphérique », à la note plus politique.
« Je ne pourrai jamais comprendre l’humour allemand«
Contrairement à Berlin où « on ne t’envoie pas sur les roses« , Christophe Bourdoiseau est persuadé qu’il n’aurait pas pu faire carrière à Paris : « En France, si tu ne trouves pas de structures, tu finis comme Daniel Guichard à faire des tournées en caravane !« . Le chanteur est certes redevable à Berlin, son véritable tremplin, mais il se sent plus que jamais Français. S’il reconnaît à la mentalité allemande l’art du débat, la discipline intellectuelle et la recherche du consensus, il est toujours froissé par une certaine rigidité de l’ordre « difficilement supportable« .
Clara Lehmann