« Je ne me reconnais pas du tout dans les portraits que l’on faits de nous et de l’Allemagne de l’Est », lâche Bianca Schäler. « On nous décrit souvent comme des pauvres qui mouraient de faim. Mais regardez-moi », dit-elle en saisissant ses poignées d’amour. « Est-ce que j’ai l’air d’avoir été morte de faim? »
Franche du collier mais fort sympathique, Bianca Schäler est thuringienne d’origine et gérante de la boutique Ostpaket à Berlin. Celle-ci a la particularité de présenter dans ses étals les mêmes produits que ceux que l’on pouvait trouver au temps de la RDA. Pas de Coca-Cola, ni de soupes Campbell dans les rayons. Ici les « stars » sont plutôt anonymes pour ceux qui n’ont pas connu cette époque : le ketchup Werder, le Russisch Brot (biscuits), les pfeffi & zitro (bonbons), les Schlager–Süßtafel (chocolat à faible teneur en cacao, très cher à l’import en ce temps) ou encore la pâte à tartiner Nudossi.
Les propos introductifs de Bianca Schäler ne sont pas inutiles pour comprendre la logique derrière la création de son magasin : « Nous aussi on a mangé avec des fourchettes et des couteaux » se plait-elle à rappeler comme pour moquer l’arrogance de l’ouest. Et de se replonger dans ses souvenirs d’enfance : « Il y avait des bouchers un peu partout, on mangeait ce qu’on voulait ; je n’ai jamais vu de magasins vides » affirme-t-elle pour battre en brèche les jugements souvent misérabilistes portés sur la RDA. « La vraie différence, c’était dans la présentation : nos produits n’avaient pas autant d’emballages ni de couleurs éclatantes qu’à l’ouest, mais c’est sans doute car ils étaient plus naturels… »
Mininetz und Klappbecher
Des marchandises qui, à l’effondrement du rideau de fer, ont purement et simplement disparu : « D’un jour à l’autre, tous nos produits quotidiens ont été retirés des rayons, remplacés par leurs équivalents de l’ouest », observe-t-elle. Ce raz-de-marée fut perçu par elle et beaucoup d’autres comme une transition trop brutale, doublée par ailleurs d’une certaine irrationalité. « On n’a même pas pris le temps de juger de la qualité des articles. On ne jetait pas autant à cette époque qu’aujourd’hui et on rencontrait moins de défauts de fabrication », souligne-t-elle, relevant par ailleurs l’ingéniosité d’accessoires tels que le Mininetz (filet à provision, photo ci-dessous) ou le Klappbecher (bouchon-gobelet). C’est surtout dans le domaine de la cosmétique que la demande a été « la plus rapide et la plus massive », selon Bianca Schäler. « Les gens voulaient retrouver des articles qu’ils jugeaient plus sains. »
Elle aussi désireuse de retrouver et proposer les produits de son enfance, Bianca Schäler renoue peu à peu contact avec les fabricants des différentes marchandises. Ils viennent d’Allemagne de l’Est, mais aussi de Hongrie, de Pologne ou de République tchèque. « Beaucoup avaient survécu, mais en réduisant fortement la taille de leur structure ». Elle ouvre un premier magasin à Berlin en 2000 avec l’idée de présenter un large assortiment, allant des biens de première nécessité aux produits de nettoyages et habits. En 2005, le magasin s’installe à Berlin Carré et devient Ostpaket – un clin d’œil aux fameux Westpaket reçus en RDA, mais aussi aux envois de colis que la boutique effectue. Puis récemment – en octobre 2013 -, le magasin s’installe à son emplacement actuel, entre la Rotes Rathaus et Hackescher Markt.
Plus de 170 fabricants alimentent les rayons de cette boutique qui plait beaucoup aux touristes mais aussi aux nostalgiques… et aux curieux. « De nombreuses personnes veulent simplement aller au-delà des préjugés et se faire une idée par eux-mêmes », relève la gérante. Et de citer l’exemple de son fils, né alors que les deux Allemagnes se réunissaient. « Il dit qu’il vient de l’Est alors que ça n’a pas de sens historiquement ! Mais c’est juste qu’il a été convaincu par les produits de l’Est. » Difficile toutefois de penser que sa maman soit tout à fait étrangère à ce phénomène…
C’est la semaine de la mode à Berlin…
Nicolas Donner