Unique en son genre : le Collège français

Anne-Sophie Coulon

Depuis la révocation de l’Edit de Nantes, Berlin a toujours connu une présence francophone originale. Le Collège français ou Französisches Gymnasium, fondé en 1689 pour les huguenots, en est un exemple, puisque l’on parle là d’un établissement scolaire où le français n’a jamais cessé d’être la langue d’enseignement. Lycée à vocation humaniste (latin et grec), il s’associe en 1953 au lycée français dépendant du gouvernement militaire de Berlin.

Depuis vingt ans, le nombre de familles binationales et biculturelles augmentant régulièrement, le Lycée français ne compte pas moins de 950 élèves, 600 du côté français et 350 du côté allemand. On estime que parmi eux 50% sont bilingues, 25% francophones et 25% germanophones.

Un établissement allemand unilingue en français

Constitue-t-il véritablement un établissement bilingue pour autant ? « Non »  affirme Bernhard Frank, directeur de l’administration allemande du Lycée français de Berlin depuis dix ans, après avoir été directeur de la section allemande du Lycée international de Saint-Germain-en-Laye, de 1996 à 2004. « C’est un établissement allemand soumis à la loi scolaire berlinoise avec une cogestion française depuis 1953 » expose-t-il. Ce qui signifie concrètement que les élèves de l’administration française sont des élèves d’un établissement allemand soumis à la loi scolaire allemande (loi et règlement interne relèvent de la législation berlinoise). Les règles ne s’assouplissant qu’ultérieurement, en fin de seconde, l’obligation scolaire n’existant plus.

Cet établissement hybride, ayant deux administrations française et allemande à sa tête, a connu une importante restructuration en 2011 avec le rapprochement de l’Ecole Voltaire. Désormais seule l’administration allemande recrute des élèves à partir de la cinquième année (CM2) pour former deux classes bilingues (venant majoritairement des Europaschule) et une classe allemande composée d’enfants germanophones, venant d’écoles allemandes classiques. Mais Bernhard Frank de relativiser. « De plus en plus d’enfants sont bilingues oralement alors qu’il fut un temps où les classes était à 100% germanophones » remarque-t-il.

Pour ces élèves en administration allemande,  les programmes de mathématiques allemands – « à certains égards plus exigeants que leurs équivalents français », selon Bernhard Frank – sont enseignés en allemand de la cinquième année (CM2) à la sixième année (6e). Ceci non pas dans un souci d’introduire une matière en allemand dans cet établissement unilingue, mais pour que les enfants qui ne réussiraient pas l’année probatoire au lycée puissent revenir par la suite dans le système scolaire standard.

Aujourd’hui, le Lycée français dont la tradition perpétue un enseignement en français, se trouve peut-être à un tournant : les enseignements allemands défendent encore l’unilinguisme français alors que certains professeurs français seraient favorables à l’introduction de davantage d’allemand dans les matières non-linguistiques.

Le bilinguisme avec la section Abibac

Crée en 2004, ce diplôme, forme intégrée de l’Abitur allemand et du Baccalauréat français et complètant le dispositif traditionnel du Baccalauréat et Abitur, accueille chaque année une vingtaine de candidats au Lycée Français.

Dès l’entrée en seconde, l’emploi du temps est renforcé dans la langue étrangère (langue et littérature) et en histoire-géo (enseigné en langue étrangère), sur des programmes spécifiques, établis en commun par les inspections de l’Education Nationale en France et en Allemagne. A l’examen, les matières enseignées en langue allemande donnent lieu à trois épreuves (2 écrites et 1 orale) qui se substituent aux épreuves françaises.

La KMK (Conférence fédérale des ministres de l’éducation en Allemagne) définit strictement les candidats éligibles dans cette section. Au Lycée français, seuls des élèves alphabétisés en français, appartenant à l’administration française et qui ont acquis un bon niveau dans la langue allemande, peuvent postuler.

Avec ce diplôme et sa formule exceptionnelle permettant de recevoir les deux diplômes du Baccalauréat et de l’Abitur en un seul examen, « on a voulu récompenser les jeunes français qui ont fourni beaucoup de travail pour acquérir des compétences linguistiques et interculturelles spécifiques », observe Bernhard Frank. « Si des enfants alphabétisés en français sont actuellement en administration allemande au Lycée français, il n’y aura aucun problème pour qu’ils passent en administration française » rassure-t-il, comprenant bien l’inquiétude de certaines familles qui souhaitent que leur enfant puisse postuler pour l’Abibac. 

« On a parfois intérêt à se présenter avec le seul Baccalauréat »

Ce diplôme est censé offrir des perspectives intéressantes pour la poursuite d’études en France ou en Allemagne, puisque les lycéens ont normalement la possibilité de s’inscrire dans les établissements d’enseignement supérieur français aussi bien que dans leurs équivalents allemands.

Il a toutefois déçu certaines familles bilingues dont les enfants ont rencontré des difficultés pour s’inscrire dans certaines universités allemandes. En effet, certains lycéens titulaires de l’Abibac ont été contraints de fournir exclusivement l’attestation de l’Abitur (relevés de notes sur quatre semestres) pour s’inscrire dans des établissements à numerus clausus en Allemagne. Les familles ont donc dû fabriquer un document « maison » ou une attestation explicative établie par l’administration allemande du Lycée français.

« Il est décevant de constater que ces lauréats obtiennent plus facilement des places à l’université avec le Baccalauréat qu’avec l’Abibac », regrette Bernhard Frank. Les raisons ? La grille de conversion des notes. Les notes du Baccalauréat converties en notes allemandes seront bien souvent supérieures aux notes Abibac en général moins fortes.

« On a intérêt à se présenter avec le seul Baccalauréat pour des facultés à numerus clausus. Ce n’est pas plus compliqué que cela » remarque Bernhard Frank. En effet, les relevés de notes du Baccalauréat sont détaillés contrairement à ceux du diplôme de l’Abibac. Ce qui représente un avantage quand on est sélectionné sur dossier. Les bénéfices de l’obtention de ce diplôme bilingue « se verront à plus long terme dans la vie professionnelle du lauréat », fait remarquer Bernhard Frank qui quittera son poste de directeur en juillet 2014.

Laisser un commentaire