Anastasia Semenoff, aka Alpha Rat, est une artiste visuelle, développeuse de jeux vidéo et d’applications en VR (virtual reality), basée à Berlin depuis un peu plus de quatre ans.
Aux manettes du magazine Spektrum Crush dédié à l’Art numérique, Anastasia collabore avec de nombreux artistes pour créer des univers interactifs qui nous invitent à remettre en question notre perception du corps ainsi que nos conceptions d’identité et d’individualité.
De la disqueuse au clavier d’ordinateur
Tu as été tour à tour tailleuse de pierre, sérigraphe, développeuse, qu’est ce-qui t’a poussée vers le monde des arts digitaux ?
Je pense que j’ai toujours été intéressée par les métiers très techniques, que ce soit de l’artisanat ou bien de la programmation. J’ai toujours été très investie dans mon interaction avec les ordinateurs, cela m’a seulement pris un peu de temps pour réaliser que je pouvais combiner mon intérêt pour l’art et la technicité et en faire un métier via l’activité de développeuse de VR et de jeux vidéo.
Tu es née dans les années 90 et fais donc partie de la première génération à être née avec Internet. Pourtant, dans ton travail, on dénote une certaine nostalgie du Web.1.0 (esthétique flashy des jeux d’arcade, ligne de codes en surimpression…), est-ce qu’Internet aussi « c’était mieux avant » ?
Non, je ne pense pas que c’était nécessairement mieux avant – mais il y a définitivement des aspects du net qui ont disparu au fur et à mesure que les géants du web ont simplifié et canalisé notre expérience d’Internet. Internet est plus sûr, moins chaotique, mais aussi un peu moins surprenant. Les médias sociaux permettent à tout le monde d’exposer leur travail avec facilité (d’abord via Tumblr, puis via Instagram), ce qui est une bonne chose, mais en échange, toutes les pages personnelles sont présentées sous le même format. La plupart des Skyblogs étaient assez laids, mais ils avaient le mérite d’être vraiment uniques.
Berlin Geek : les espaces les plus connectés de la capitale allemande
Tes multiples collaborations témoignent d’une certaine effervescence créative. Quels sont les lieux et les artistes emblématiques de la Culture Geek à Berlin ?
Les événements qui m’ont permis de rencontrer d’autres artistes travaillant avec les jeux vidéo et la VR ont été Aaartgames et CreativeVR à Spektrum, la Mini-Game Jam tous les mois à Co.up space, et le festival de jeux vidéo indépendants A.MAZE tous les ans à l’Urban Spree. Sans oublier Talk and Play organisé par BerlinGameScene.
Récemment, plusieurs galeries dédiées spécifiquement aux arts digitaux ont émergé à Berlin, notamment Synthesis Gallery, D.A.M (digital arts museum), ainsi que des espaces ouverts à ce genre d’expositions comme State of the Art. Dans la même veine, le festival Retune est aussi un événement à retenir pour les arts numériques à Berlin.
Von Berlin nach Tokyo
On retrouve dans ton travail des éléments empruntés aux thématiques cyberpunk ainsi qu’aux codes du Manga. Tu reviens justement du Japon, considéré comme un Eldorado en matière de nouvelles technologies, tes impressions ?
J’ai trouvé très intéressant d’être immergée dans des atmosphères et dans des lieux que je connaissais par le prisme de différents médias. En a résulté un sentiment d’irréalité très intense. Je pense que si je retourne au Japon une seconde fois, j’aurais une perception des choses probablement très différente. Mais c’est exactement ce genre de sentiments qui m’attirent vers la réalité virtuelle et vers d’autres concepts, dans lesquels la notion de réalité se trouve brouillée. En comparaison avec Berlin, j’ai trouvé que se retrouver dans des foules aussi immenses et d’être plongée dans l’effervescence de Tokyo avait un effet très apaisant. Il y a tellement de monde et de choses qui se passent chaque seconde que la pression de créer ou de faire quelque chose devient plus tolérable. Parfois le calme et le laisser-aller de Berlin laissent trop d’espace pour commencer à paniquer ou nous incitent à gâcher notre temps pour combler cet espace.
Lou Antonoff