« Je n’aime ni la langue, ni la culture allemande, et pourtant je suis toujours là ! » Après presque quarante ans passés à Berlin, Gilles Papélian affirme être « resté très français : je ne regarde pas la télévision allemande mais seulement française. »
A 61 ans, ce précurseur de la cuisine française à Berlin se dit être incompris dans son métier depuis son arrivée en Allemagne. Après son service militaire en 1973, il travaille pendant deux ans dans des restaurants « soit disant français mais qui n’avaient, en fait, rien de français », raconte-t-il. « Pour travailler, c’était une catastrophe, on ne trouvait pas les ingrédients, les herbes, les viandes, les légumes, le vin, il n’y avait rien. Alors on improvisait, on pouvait faire une ratatouille avec des poireaux ! C’était une époque barbare. » En 1976, il ouvre son restaurant : Moustache, aujourd’hui le plus vieux restaurant français de Berlin. « Je voulais faire comprendre ce que c’était que la vraie cuisine française. Les Berlinois n’y connaissaient rien, alors on a commencé par des classiques. » Pendant cinq ans, Gilles Papélian jongle entre les fourneaux en cuisine et le service en salle pour faire découvrir aux Allemands moutarde de Dijon, vinaigre de vin rouge, café et autre rognons et ris de veau. Le 20 mars 1980, c’est la consécration pour le restaurateur : le journal Der Abend publie un article sur son restaurant. « C’est ce qui m’a lancé », assure-t-il. Résultat : les murs s’agrandissent et Gilles Papélian peut enfin se faire épauler par un chef cuisinier français.
Pour ce Français qui parle toujours des quartiers de l’ancien Berlin-Est comme « de l’autre côté », la chute du mur a été une libération pour sa cuisine mais dont le revers de médaille s’est révélé passablement amer. « D’un seul coup, on trouvait de tout, tout s’est ouvert. Les camions de livraisons n’avaient plus besoin de passer par ces fichus couloirs de DDR. » Pourtant, c’est aussi à ce moment précis que le restaurateur subit une première crise : « Avant, les gens ne sortaient pas de Berlin donc le week-end, ils venaient au restaurant. Avec la chute du mur, de nouveaux restaurants se sont ouverts de partout à l’Est et les gens ont pu profiter des environs de Berlin. On a perdu beaucoup de clientèle. » Après dix années plutôt prospères, le restaurant connaît la crise en 2002 avec la mise en circulation de l’euro. Un article dans le Berliner Zeitung permet d’attirer une nouvelle clientèle mais l’effet ne dure que quelques mois. Depuis la crise économique et financière de 2007, Gilles Papélian affirme traverser une période difficile. « Dans le quartier de Charlottenburg, il n’y a pas la même ambiance qu’à Mitte. Il n’y a rien d’autre à faire ici. Et non seulement le Berlinois ne sait pas apprécier la qualité à sa juste valeur car il cherche à tout prix à économiser, mais en plus, il n’est pas du tout fidèle. Même s’il a bien mangé, une fois qu’il a passé la porte, il a oublié Moustache ». Face à ces difficultés, le restaurateur est tiraillé entre sa famille et sa volonté de retourner en France. « Mon rêve, ce serait de passer six mois à la Rochelle et six mois à Berlin », conclut-il.