Marie Heurtin : rencontre avec J-P Améris et Isabelle Carré

On entend beaucoup parler de lui, il est sur toutes les lèvres : le film Die Sprache des Herzens – das Leben der Marie Heurtin arrive dans les salles obscures berlinoises le 1er janvier 2015. Présenté en avant-première à Berlin lors de la Semaine du cinéma français, le film porte une belle note d’espoir pour commencer la nouvelle année et devrait conquérir le cœur de la capitale allemande ! La rédaction de Vivre À Berlin a eu l’occasion de rencontrer le réalisateur Jean-Pierre Améris et l’une des actrices principales, Isabelle Carré.

Connaissiez-vous des personnes sourdes avant le tournage ?

Isabelle Carré (I.C) : Aucune. C’est bizarre quand même. Il y a vraiment un ghetto. C’est triste. Pourquoi ? Parce que la surdité ne se voit pas. D’après des études, la surdité est le handicap – de notre point de vue d’entendant, car les sourds ne se considèrent pas comme handicapés – le moins bien perçu de la société. Ça nous angoisse de nous retrouver en face quelqu’un de semblable… et en même temps de différent.

Maîtrisez-vous la langue des signes depuis le tournage ?

Jean-Pierre Améris (J-P.A) : Une des raisons pour lesquelles je fais des films comme Marie Heurtin ou Les Émotifs anonymes, c’est que j’ai un gros problème avec les langues. Je suis nul, y compris en langue des signes. J’aime montrer dans mes films ce que je n’arrive pas à faire dans la vie. C’est ce qui me motive en tant que réalisateur : montrer comment on peut arriver à se surpasser pour communiquer. Mais Isabelle, elle, est très douée, je l’admire. Elle peut faire un débat en langue des signes. 

I.C : J’ai appris pendant quatre mois et aussi sur le tournage. À la fin je parlais bien ! Mais maintenant je commence un peu à oublier… En fait, l’apprentissage de la langue des signes est plus facile qu’une autre langue et c’est vraiment un truc que j’ai envie de dire. Moi je suis nulle en langues, je ne parle que français, j’ai un anglais d’un enfant de 5 ans, l’allemand je l’ai appris en seconde langue mais j’ai tout oublié. Et avec la langue des signes, ça a été super facile. Je trouve étonnant qu’on n’ait pas plus de désir d’apprendre cette langue, d’entrer en contact avec les personnes sourdes.

J-P.A : Un jour, j’ai dit à propos de la surdité que c’était un handicap. Ariana Rivoire, l’actrice du film sourde de naissance, m’a engueulé car elle refuse ce terme. Il y a de nombreux handicaps différents, certains moins graves que d’autres. Il n’y a pas de honte à avoir un handicap ; on en a tous.
D’ailleurs, on a eu toutes les peines du monde à trouver l’argent pour monter ce film car le sujet faisait peur. On me disait : « Mais enfin… des sourds-aveugles… ça va être sinistre« . Pourtant, en France, ils sont 6 000 avec seulement deux centres pour les recevoir. Dans ces centres, j’ai vu des choses difficiles mais senti aussi beaucoup de joie de vivre. Le handicap, aujourd’hui, c’est une réalité. On ne peut rien contre. C’est comme la mort. La question est de savoir ce qu’on en fait. 

Jean-Pierre Améris, je suppose que vous avez fait appel à un interprète…

J-P.A : Oui. Depuis le début avec Ariana, je travaille avec une interprète. Et plusieurs parfois. Sur le tournage, quand on avait une vingtaine de filles sourdes dans certaines scènes, il fallait trois ou quatre interprètes. Ce que j’ai trouvé formidable dans ma relation avec Ariana, c’est qu’elle n’a jamais été un tiers. Sa surdité ne m’a pas empêché de la diriger aussi directement qu’Isabelle Carré ou d’autres actrices du film. C’était vraiment un dispositif formidable et puis c’est le sujet du film : on peut se comprendre autrement que par les paroles. Avec Ariana, dès ma première rencontre, ça s’est bien passé. Je l’ai tout de suite pressentie.

L’absence de mot nous ramène à l’essence de tout : le contact physique avec les gens, avec la nature, avec le monde qui nous entoure.

I.C : Exactement. En fait, on a souvent peur de ce contact. Moi la première. J’ai été très étonnée de voir à quel point c’était facile de communiquer avec Ariana. À aucun moment je n’ai ressenti de différence par rapport à d’autres partenaires. Je m’attendais comme tout le monde à ce qu’il y ait une barrière entre nous. J’avais peur de mes maladresses, de ne pas la comprendre. Mais mon appréhension s’est vite envolée.

Est-ce que vous avez eu envie, avec ce film, de remettre de l’humain dans un monde où domine souvent l’individualisme ?

J-P.A : Je trouvais en effet que ce film faisait presque un pied de nez à notre société où l’on ne s’arrête jamais de communiquer mais où la communication est de plus en plus virtuelle. La première fois que j’ai visité le Centre d’éducation spécialisé de Poitiers pour les sourds-aveugles (CESSA), les enfants m’ont touché, enlacé, reniflé. C’était gênant et drôle à la fois. On revient à quelque chose de primal : le contact, l’odeur. Ces enfants m’ont beaucoup apporté. Quand on se promenait dans le parc et qu’ils devinaient un arbre, ils prenaient le temps d’en caresser l’écorce. Tandis que moi, je passais devant l’arbre sans le voir, ce qui est grave pour un réalisateur. Ces enfants nous ramènent à l’essentiel.

Comment avez-vous réussi à trouver le ton juste dans votre film, tiré d’une histoire vraie ?

J-P.A : Dès le début, il était très clair que ce ne serait pas un mélodrame. Je voulais être au plus près des faits, sans pour autant tomber dans la reconstitution historique. C’est un film très épuré où les émotions viennent des choses les plus simples. Par exemple, la musique y est peu présente, mais aussi très importante. Il fallait que ce soit vibrant. J’ai été très aidé en cela par Ariana Rivoire et Isabelle Carré. Dans les scènes de violence ou de tendresse, ce n’était pas pour de faux. Elles se battaient et s’aimaient vraiment. C’est un grand cadeau pour un metteur en scène. Pour moi, le réel sujet du film c’est la rencontre, pas le handicap. C’est un film sur la révolte, l’amour et la communication tactile, charnelle. C’était beau à filmer.

Pour jouer le rôle de Marie Heurtin, vous dites que c’était un peu comme une évidence dès que vous avez vu Ariana. Et pour interpréter Sœur Marguerite, Isabelle Carré, avec qui vous aviez déjà travaillé, était une évidence aussi ?

J-P.A : Ah oui, vraiment. Dès l’écriture, je n’ai vu qu’Isabelle dans ce rôle. J’ai trouvé en elle un autre moi-même.  C’est une chance – j’ai beaucoup de chance tout de même – de trouver son alter ego. Que ce soit un garçon ou une fille n’a rien à voir là-dedans. On a beaucoup de points communs ; c’est merveilleux. En plus d’être en confiance – au bout de trois films Isabelle continue de m’épater – on avance plus vite dans le travail.

Isabelle Carré, était-ce un rôle particulièrement compliqué à jouer ?

I.C : Ce qui a été difficile, c’était les scènes de bataille avec Ariana parce qu’on y allait carrément. J’ai adoré cette énergie et cette volonté chez elle. Jamais elle ne s’est plainte.
Ariana n’avait jamais joué la comédie et ne savait pas vraiment maîtriser sa force. Sans révéler des choses de son passé, il y a beaucoup de violence enfouie en elle qu’elle a utilisé pour incarner ce personnage. Je ne tenais pas la route face à elle. Malgré tout, j’ai eu énormément de plaisir à travailler avec Ariana parce que c’est quelqu’un de très étonnant. J’ai une grande admiration pour elle. On a de nombreux points communs. Nous sommes bavardes toutes les deux. On parlait tout le temps, on n’arrivait pas à se concentrer.  

À la fin du film, Ariana dit : « On était bien plus que des amies« . Comment définiriez-vous la relation qui lie Sœur Marguerite à Marie Heurtin ?

J-P.A : Un amour total, spirituel et charnel, chacune étant, je pense, l’amour de la vie de l’autre.

Isabelle Carré, êtes-vous croyante ?

I.C : Oui, mais à ma façon ; je pioche un peu là où j’ai envie. J’ai un peu de mal avec le dogme. Je ne suis pas juive mais j’aime beaucoup le livre hassidique Le chemin de l’homme. Martin Buber y écrit : « L’universalité de Dieu réside dans le fait qu’il y a autant de chemins vers Dieu qu’il y a d’hommes. » Ça me parle beaucoup.

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