Hausse des loyers, fermeture des espaces de création, restrictions sonores… A l’instar de Londres ou Paris, la capitale allemande est elle aussi contaminée par la gentrification. « Un phénomène social qui se caractérise par la transformation des habitants d’un quartier dont la catégorie sociale augmente. En d’autres termes, la gentrification voit le profil social d’un lieu se modifier, s’embourgeoiser. » (L’Internaute.)
Dans une ville « pauvre mais sexy » où 85 % des habitants sont des locataires, personne ne voit d’un très bon œil la flambée des prix des logements, qui auraient doublé en dix ans, le projet de Campus Google, annulé par les riverains de Kreuzberg ou la future A100 mettant en péril trois clubs emblématiques des nuits berlinoises.
Vers une vente aux enchères de la contre-culture
Après la fermeture en 2012 du Tacheles, un squat d’artistes représentatif du foisonnement post-soviétique, le RAW Gelände et la Holzmarkt sont aujourd’hui en danger. Ces deux espaces en friche où cohabitent salle d’escalade, bars, skate park, food-trucks et clubs aux murs couverts de graffitis sont en effet sur le point de disparaître au profit de sociétés qui font leur beurre sur la spéculation immobilière. Artistes, activistes et riverains se mobilisent : pas question de troquer la qualité de vie berlinoise contre des bars à graines et des Starbucks Coffee®. L’artiviste marseillaise Catherine Ricoul est d’ailleurs en première ligne : à Marseille comme à Berlin, les problématiques sont les mêmes et les habitants résistent contre cette violence urbaine.
L’anti-gentrification s’affiche sur les murs de Berlin
L34, R94, SamaCafé, Potse Drugstore, des lieux de vie, de création et de fête qui confèrent à Berlin son aura alternative et bouillonnante, sont eux aussi menacés d’extinction. « If you like Berlin, don’t move here« , des messages clairs tagués sur les murs, déclinés sur des autocollants contre les nouveaux arrivants qui ne sont pas forcément les bienvenus dans ces quartiers très touchés par la gentrification.
Dans la Rigaerstraße, on s’organise, et de nombreux manifestants s’étaient réunis en 2016 pour protester contre l’expulsion du squat Rigaer94. Leur mobilisation avait payé mais pour combien de temps ? Les contrats des HausProjekt (squats légaux) de la Rigaerstraße arrivent à leur terme tandis que le Syndikat (bar rock’n’roll de Neukölln) est sommé de mettre la clef sous la porte.
Das ist Wahnsinn, c’est de la folie !
Le phénomène ne se limite pas qu’aux marges des sous-cultures. Des bannières fleurissent aux fenêtres des immeubles : une date d’emménagement, le loyer à l’époque et son montant aujourd’hui. En dix ans, les prix ont doublé. Et, en avril dernier 40 000 Berlinois défilaient sur l’Alexanderplatz contre la MietenWahnsinn, laconique référence à la comédie musicale schlager Wahnsinn.
Pour lutter contre le mal logement, certains locataires forment des collectifs et font pression sur les nouveaux investisseurs. Ils se réunissent en assemblée générale pour militer contre l’inaccessibilité des nouveaux prix.
Berlin est l’une des seules villes d’Europe à avoir tenté d’encadrer AirBnB afin de favoriser les locataires. Autre première en Europe, la municipalité vient d’annoncer un projet de gel des loyers pendant cinq ans : une mesure qui devrait stabiliser le marché immobilier pour un moment.
Des capitales qui s’endorment
Mais malgré les tentatives de préserver un certain microcosme berlinois, la capitale allemande se heurte à ses propres contradictions. Des bâtiments parfois vétustes dont certains disposent encore d’un système de chauffage au charbon. De nouveaux immeubles de luxe dans des quartiers populaires. De nouvelles règles visant à encadrer la liberté berlinoise.
Contrairement à Paris où les bars ferment autour de 2 heures du matin le week-end, à Berlin, les bars ferment quand le barman décide qu’il est l’heure d’aller se coucher. Une permissivité qui attire des fêtards du monde entier en visite pour découvrir le temple de la Techno du Berghain ou écumer les bars de Friedrichshain. Pourtant les Eck Kneipen disparaissent du centre-ville pour laisser place à des working-space ou à des bars à burgers.
Cette année au Karneval der Kulturen l’ambiance n’était pas celle de l’an dernier : restriction sonore, interdiction de filmer, de photographier, de venir à vélo…
La capitale de la fête s’arrêterait-elle de danser ?
Lou Antonoff